Page:Brochet - La Meilleure Part.djvu/27

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veux gris une bonne dame consciencieuse et tâtillonne, mariée et mère de farnille, qui, en dehors des questions de service, ne parlait que de ravitaillement. Les heures de travail semblaient interminables au jeune homme, qui n’avait qu’une hâte : s’échapper pour retrouver Gisèle ! Cette fois, elle était bien à lui ! Libérée de ses cours elle pouvait consacrer beaucoup de temps à Yves. Il en fut d’abord très heureux, mais ce plaisir s’émoussa vite, et, au bout de quelque temps il fut effrayé de s’apercevoir d’une chose terrible : il s’ennuyait avec elle. Habitué à la conversation si intéressante d’Annie, il trouvait vides et futiles les propos de Gisèle sur la mode, sur les excentricités et les divorces des vedettes. Il se demandait avec terreur comment il pourrait les supporter toute sa vie ! Car, maintenant, c’était irrévocable : en renouant leurs fiançailles dans l’enthousiasme, les jeunes gens avaient fixé la date de leur mariage à la fin de septembre ; ils n’avaient pas à se préoccuper du logement ni du mobilier puisqu’ils habiteraient avec M. Nadeau, qui possédait un appartement vaste et bien meublé, dont il se réserverait seulement une chambre.

— Vous pouvez dire que vous avez de la chance, mes enfants ! répétait le brave homme. Un appartement et des meubles, à l’heure actuelle, mais c’est un trésor !

Yves approuvait, plein de sympathie pour son futur beau-père ; mais il était plutôt de l’avis de sa mère, qui soupirait en hochant la tête :

— Qui, tout ça est très bien… très bien… Mais il n’y a pas que ça qui compte.

Avec son instinct maternel elle devinait l’angoisse que son fils essayait de cacher. Yves était dans la pénible situation d’un homme qui sent qu’il va faire une sottise dont dépendra le bonheur de sa vie, mais qui continue à marcher vers l’abîme… Pourquoi ? Par scrupule d’honnêteté, d’abord, parce qu’il n’avait aucun motif de reprendre sa parole, rien de précis à reprocher à Gisèle. Ensuite parce qu’il ne voulait pas la faire souffrir — elle l’aimait à sa façon — ni faire tort à sa réputation en rompant avec elle, ce qui aurait laissé soupçonner qu’elle était indigne de son amour, Malgré lui, il devenait taciturne, et Gisèle le lui reprochait souvent. Un soir elle insista pour l’emmener au cinéma voir un film que l’on disait très drôle ; comme il refusait avec obstination, elle s’écria :

— Je sais pourquoi tu es triste ! C’est parce que ta petite amie est en deuil !

— Ma petite amie ? dit-il, le rouge au front. Je te défends de parler ainsi de Mlle Vilard !

Annie, en effet, venait de perdre sa mère. Elle avait fait