Page:Brochet - La Meilleure Part.djvu/28

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teindre en noir sa robe bleue ; elle paraissait encore plus menue que d’habitude ; mais les yeux las les traits tirés, elle continuait d’être l’employée modèle, gardant pour elle seule les peines dont la vie l’accablait. Yves avait été bouleversé par cette attitude si courageuse, si digne ; il n’avait pu qu’offrir à Annie quelques mots de condoléances, alors qu’il aurait voulu lui parler longuement, lui faire comprendre à quel point il partageait son chagrin. Oui ce que Gisèle venait de dire d’une façon méchante, c’était vrai : le deuil d’Annie était en quelque sorte le deuil d’Yves. Il ne pouvait supporter l’idée de s’amuser pendant qu’Annie pleurait, toute seule dans son pauvre logis…

Gisèle sentit qu’elle avait été trop loin et changea de conversation. Ils parlèrent des vacances qui approchaient. La firme qui employait Yves fermait pendant les trois premières semaines d’août. Le jeune homme avait loué une petite villa sur une plage du Sud-Ouest, pour y passer ces trois semaines avec ses parents et sa fiancée, le père de celle-ci préférant se rendre dans sa famille à la campagne. Gisèle avait d’abord été très agitée par ses préparatifs : elle ne parlait que maillots de bain, robes de soleil, ensembles pour le casino ; puis, chose étrange, son effervescence avait paru se calmer, et elle prenait maintenant des airs mystérieux et secrets qui agaçaient le jeune homme…

Quelques jours avant la fermeture des bureaux, Annie vint porter un dossier à Yves. Il fut profondément touché par son teint pâle et son air fatigué, et ne put s’empêcher de lui dire :

— Vous avez bien besoin de vacances mademoiselle Annie ! Où allez-vous ?

— Nulle part, répondit-elle en essayant bravement de sourire. Pourquoi courir si loin ? Paris est très agréable, très reposant, quand ses habitants l’ont déserté… Et puis, j’aurai le bois de Boulogne, le bois de Vincennes la banlieue…

Elle n’osa pas dire : « le parc Monceau ». Lui non plus. Il admirait la force d’âme d’Annie, qui ne voulait pas se plaindre. Sans doute, la maladie de sa mère, les frais de son décès interdisaient toute dépense à la jeune fille… Yves la laissa partir tout assombri. Il ne pouvait, hélas ! rien faire pour elle, mais il sentait que ses vacances à lui seraient gâchées par l’idée que cette petite, qui avait tant besoin d’air pur et de détente, resterait dans son étroit logement surchauffé toute seule, frottant et raccommodant pour toute distraction…

Il y pensait encore le soir, en arrivant chez Gisèle qu’il trouva en train de préparer ses bagages. Toutes les chaises étaient occupées par des piles de linge, des robes, des coli-