Page:Brochet - La Meilleure Part.djvu/6

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ne rêvent plus du Prince Charmant : elles ne songent qu’à faire du cinéma !

Yves, lui, ne disait rien. Tout ce qu’il savait, c’est qu’elle semblait promise, en effet, à un avenir brillant digne de sa beauté ; et il en souffrait…

Le hasard voulut qu’on affectât la nouvelle dactylo au service personnel de M. Lebonnier. Seuls, enfermés dans le même bureau plusieurs heures par jour, ils firent forcément plus ample connaissance, et Yves s’aperçut avec joie qu’il ne déplaisait pas à Gisèle. Cela lui donna de l’assurance et il comprit qu’après tout il pouvait tenter sa chance auprès d’elle sans être ridicule. Il avait vingt-sept ans et il gagnait largement sa vie ; physiquement, il était ce qu’on appelle « un beau gars », robuste et viril ; de plus, il était intelligent, instruit et bien élevé ; tout compte fait, il représentait « un bon parti » pour une simple dactylo, même jolie comme une star ! Est-ce pour ces considérations d’ordre raisonnable et pratique que Gisèle l’avait agréé lorsqu’il avait osé lui parler d’amour ? Il ne le croyait pas, ou plutôt, il croyait et c’était probablement la vérité que, si ces considérations avaient influencé Gisèle, elle y joignait cependant un réel sentiment pour lui. Sinon, pourquoi l’aurait-elle choisi, lui, parmi tous les prétendants qui papillonnaient autour d’elle ?

Oui, elle l’aimait, il en était certain ! Cette certitude l’avait d’abord ébloui et comblé de joie… Il eût même été parfaitement heureux s’il n’avait possédé un caractère inquiet, apte à se tourmenter pour les motifs les plus minimes, et même sans motif. Épouser Gisèle, vivre avec elle toute sa vie, était-ce possible ? Le rêve n’était-il pas trop beau pour être réalisable ? Tous les imprévus lui paraissaient menaçants. Et c’est pourquoi, ce soir-là, dans le parc Monceau où il se promenait avec Gisèle, après la sortie du bureau, il dressa l’oreille, le cœur aux aguets, en l’entendant parler d’une « chose très importante ». Il s’efforça néanmoins de badiner :

— Oh ! oh !… vous m’impressionnez ! De quoi s’agit-il ?

Elle était arrêtée devant un massif de tulipes, et involontairement il la comparait à ces fleurs racées, si pures de lignes et si riches de couleur, qui se balançaient doucement à la brise du soir, avec leurs pétales clos comme des mains jointes sur le mystère de leurs étamines. Gisèle aussi avait un secret, il le sentait bien, et il avait peur du moment où elle le lui révélerait, car ce secret pouvait être un obstacle entre eux…

— Vous devez être le premier, dit-elle, à connaître une grave décision que j’ai prise, et qui va bouleverser toute ma vie…