Page:Brochet - La Meilleure Part.djvu/7

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Il faillit crier : « Non ! non !… » sans même savoir ce qu’était cette décision. Tout changement dans l’équilibre miraculeux de son bonheur ne pouvait être que néfaste. Le cœur serré par une angoisse inexplicable, il l’écoutait…

— Je vais donner ma démission au bureau, dit-elle sans le regarder.

Il tressaillit, et les commentaires ironiques de ses collègues lui revinrent brusquement à la mémoire : « Elle ne restera pas longtemps ! Un millionnaire va l’enlever, ou bien elle va faire du cinéma ! » Hypothèses qu’il aurait voulu trouver absurdes, mais qui, ce soir, prenaient une affreuse vraisemblance…

— Donner votre démission ! murmura-t-il, saisi. Mais… pourquoi ? Vous n’êtes pas bien, là, avec moi ? Vous avez trouvé une meilleure place ?

Elle secoua ses boucles dorées et s’expliqua franchement :

— Je ne veux plus travailler dans un bureau. Il y a longtemps, très longtemps, que je rêve d’un autre métier… Jusqu’ici, mon père s’y était opposé, mais il s’est enfin laissé fléchir…

— Un autre métier… répéta sourdement Yves.

Il ne demanda pas lequel. Il le savait. Ainsi, la catastrophe qu’il avait tant redoutée se produisait… Il en restait assommé, comme s’il avait reçu un coup de massue. À travers un brouillard, il entendit le rire un peu nerveux de Gisèle.

— Ne faites pas une tête comme ça, Yves ! Ça n’a rien de tragique, et puis, vous deviez vous y attendre. Je vous ai toujours dit que je voulais être artiste !

— Oui, en effet… balbutia-t-il. Mais j’espérais que ça n’arriverait jamais…

— Je vous remercie ! répliqua-t-elle, la voix plus âpre. Vous saviez que c’était le rêve de ma vie, le seul moyen de me rendre heureuse, et vous souhaitiez le contraire ! C’est cela, sans doute, ce que les hommes appellent « aimer » ?

Il baissa la tête, confus et très malheureux.

— Pardon, Gisèle… Oui, vous avez raison, mon amour est égoïste… Mais je vous aime tant, voyez-vous, qu’à l’idée de vous perdre…

Par contraste avec l’embarras du jeune homme la jeune fille se montrait calme, lucide, décidée.

— Me perdre ? dit-elle. Pourquoi cela ? En vous annonçant mes projets, je n’avais pas du tout l’intention de jouer une scène de rupture ! En quoi mon nouveau métier peut-il changer nos sentiments ? M’aimerez-vous moins parce que je ne serai plus attelée huit heures par jour devant