Page:Broglie - Souvenirs, 1785-1817.djvu/334

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans indignation et sans dégoût. Mais, je le déclare, rien ne peut donner l’idée de la joie que causa dans tout Paris l’évasion du condamné ; dans tout Paris s’entend, moins la cour et le faubourg Saint-Germain. Pour peu de chose, on aurait illuminé. Le matin, de bonne heure, je vis entrer chez moi M. de Montrond, qui me dit avec un sang-froid que lui seul savait garder en plaisantant :

— Habillez-vous ; préparez-vous ; armez-vous ; un grand forfait vient d’être commis ; M. de la Valette au mépris de toutes les lois divines et humaines, s’est échappé de sa prison dans une chaise à porteurs et le roi, à cette nouvelle, est monté, de son côté, dans une autre chaise à porteurs ; il le poursuit en toute hâte, mais on craint qu’il ne puisse l’atteindre ; les porteurs de M. de la Valette ont de l’avance et il n’est pas si gros que le roi.

J’étais plutôt tenté de lui sauter au cou que de rire. M. Bresson fit, sans doute, un grand acte de générosité et de courage en recevant le proscrit dans son appartement, dans le propre hôtel des affaires étrangères ; il brava la terreur blanche, comme il avait bravé la terreur rouge au procès de Louis XVI ; mais j’oserais presque affirmer qu’en