Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/387

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

voulais me procurer la clef de notre chambre et la laisser sortir ; mais je lui ai répondu qu’elle n’avait rien à donner, que tout, tout était à moi. Alors elle s’est mise à pleurer, a pris à son cou une miniature et m’a dit qu’elle me la donnerait : ce sont deux portraits dans un médaillon d’or, d’un côté sa mère, de l’autre mon oncle, quand ils étaient jeunes. C’était hier… je lui ai dit que ces portraits aussi étaient à moi ; j’ai essayé de les prendre. La méchante créature n’a pas voulu ; elle m’a poussé et m’a fait mal. J’ai crié — cela l’effraie — elle a entendu papa qui arrivait, a brisé la charnière, partagé le médaillon et m’a donné le portrait de sa mère ; elle a tenté de cacher l’autre, mais papa a demandé ce qu’il y avait et je lui ai expliqué. Il m’a enlevé le portrait que je tenais et a ordonné à Catherine de lui remettre le sien ; elle a refusé, et il… il l’a jetée par terre, a arraché le médaillon de la chaîne et l’a écrasé sous son pied.

— Et vous étiez content de la voir frapper ? demandai-je ; j’avais mes raisons pour l’encourager à parler.

— J’ai fermé les yeux. Je ferme les yeux quand mon père frappe un chien ou un cheval… il frappe si fort ! Pourtant, j’ai d’abord été content… elle méritait une punition pour m’avoir poussé. Mais quand papa a été parti, elle m’a fait venir près de la fenêtre et m’a montré sa joue coupée à l’intérieur contre ses dents, et sa bouche qui se remplissait de sang ; ensuite elle a ramassé les débris du portrait, elle est allée s’asseoir face au mur et, depuis, elle ne m’a plus adressé la parole. Par moments, je me figure que c’est la douleur qui l’empêche de parler. Je n’aime pas à me figurer cela ; mais il faut être une vilaine créature pour pleurer continuellement. Elle est si pâle et a l’air si farouche qu’elle me fait peur.