Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/130

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soir. Les fenêtres sont formées de vitraux peints, dont la pourpre et l’ambre sont les couleurs dominantes, rayonnant autour d’un médaillon situé au centre et offrant aux regards la suave tête de William Shakspeare ou le visage serein de John Milton. Quelques vues canadiennes, représentant de vertes forêts et des eaux bleues, sont suspendues aux murs ; parmi elles brille une nocturne éruption du Vésuve, dont les reflets ardents contrastent avec l’écume et l’azur des cataractes et les profondeurs poudreuses des bois.

Le feu qui illumine cette chambre, lecteur du Midi, est tel que vous n’en avez pas vu souvent dans le foyer d’un appartement privé : c’est un feu brillant et chaud, remplissant une ample cheminée. M. Yorke veut avoir un tel feu, même dans les chaleurs de l’été : il s’assied auprès, un livre à la main, le coude appuyé sur un petit guéridon supportant une chandelle ; mais il ne lit pas, il surveille ses enfants. En face de lui est assise une dame, personnage que je pourrais décrire minutieusement, mais je ne me sens aucune vocation pour cette tâche. Je la vois cependant parfaitement devant moi : c’est une femme d’une riche corpulence, à la physionomie grave, le souci peint sur son front, non le souci inévitable et écrasant, mais ce souci volontaire, ce nuage qui assombrit les traits des personnes qui se croient obligées de paraître toujours mélancoliques. Ah ! certes, mistress Yorke était de ces personnes-là ; le matin, à midi, le soir, elle était grave comme Saturne, et avait une triste opinion de toute personne, particulièrement du sexe féminin, qui osait en sa présence montrer l’éclat d’un cœur gai et d’un caractère enjoué. Dans son opinion, être enjoué, c’était être profane ; être gai, c’était être frivole. Pour elle il n ’y avait pas de milieu. Néanmoins c’était une excellente épouse, une mère vigilante, ayant sans cesse l’œil sur ses enfants et sincèrement attachée à son mari. Seulement, si elle l’avait pu, elle ne lui eût pas permis d’avoir au monde d’autre ami qu’elle ; tous les parents de son mari lui étaient insupportables, et elle les tenait soigneusement à distance.

M. Yorke et elle s’entendaient parfaitement ; cependant il était naturellement sociable, hospitalier, prêchant l’unité des familles, et dans sa jeunesse, ainsi que nous l’avons dit, il n’aimait que les femmes spirituelles et enjouées. Pourquoi il l’avait choisie, comment ils avaient fini par se convenir mutuellement, c’est là un problème assez embarrassant, mais qui serait