Aller au contenu

Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tera un jour, et ce sera une fois pour toutes. Rose aime son père ; son père ne la gouverne pas avec une verge de fer, il est plein de bonté pour elle. Souvent il craint qu’elle ne vive pas, si ardentes sont les étincelles d’intelligence qui brillent dans ses yeux et s’échappent de son langage ! Cette idée redouble sa tendresse pour elle.

Il ne craint pas que la petite Jessy meure jeune : elle est si gaie, si babillarde, si espiègle, si originale même ! passionnée si on la provoque, mais pleine d’affection si on la caresse ; tantôt douce et calme, tantôt bruyante ; exigeante, mais généreuse, ne craignant personne, pas même sa mère, dont elle a souvent bravé la dure et irrationnelle sévérité, mais confiante en ceux qui la soutiennent. Jessy, avec sa petite figure piquante, son babillage engageant, ses manières attrayantes, est faite pour être une enfant gâtée, et elle est l’enfant gâtée de son père. Chose singulière, elle ressemble à sa mère trait pour trait, comme Rose ressemble à son père ; et cependant, quelle différence de physionomie !

Monsieur Yorke, si un miroir magique vous était présenté, et si vous pouviez y voir vos deux filles telles qu’elles seront à vingt années de distance de cette soirée, que penseriez-vous ? Eh bien, ce miroir magique, le voici : vous allez apprendre leurs destinées ; et d’abord celle de votre petite idole, de Jessy.

Connaissez-vous ce lieu ? Non, vous ne l’avez jamais vu ; mais vous connaissez ces arbres, ce feuillage, le cyprès, le saule, l’if. Les croix de pierre comme celles-ci ne vous sont point inconnues, non plus que ces pâles guirlandes d’immortelles. Voici la place : sous ce gazon et ce marbre grisâtre dort Jessy. Elle vécut un jour de printemps ; elle fut beaucoup aimée et aima beaucoup. Bien des fois, pendant sa vie si courte, elle connut le chagrin ; souvent elle versa des pleurs ; mais elle les entremêlait de sourires qui réjouissaient tous ceux qui la voyaient. Sa mort fut tranquille et heureuse entre les bras de Rose, car Rose avait été son appui et sa défense dans plusieurs épreuves. Toutes deux étaient alors sur une terre étrangère, et cette terre a donné une tombe à Jessy.

Maintenant, voyez Rose, deux ans plus tard. Les croix et les guirlandes paraissent étranges, mais les montagnes, les bois, le paysage semblent plus étranges encore. Ce lieu, il est vrai, est loin de l’Angleterre ; bien éloignés doivent être les rivages