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Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/529

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Elle s’arrêta de nouveau : elle s’appuya contre un arbre, tremblante, pâle comme la mort.

Martin la contemplait avec une exprimable curiosité. D’un côté, comme il l’eût exprimé dans son langage pittoresque, c’était pour lui « des noix » de voir cela : cela lui disait tant de choses, et il commençait à avoir une si grande envie de découvrir des secrets ! d’un autre côté, cela lui rappelait ce qu’il avait autrefois ressenti lorsqu’il entendit un merle pleurant sa couvée que Mathieu avait écrasée avec une pierre, et ce n’était point un sentiment de plaisir. Incapable de trouver rien de bien convenable à dire pour la consoler, il commença à chercher en son esprit ce qu’il devait faire ; il sourit : le sourire de ce jeune garçon donnait une étonnante clarté à sa physionomie.

« Eurêka ? s’écria-t-il. Je vais tout réparer à l’instant. Vous êtes mieux maintenant, miss Caroline : marchez en avant, » lui dit-il.

Sans réfléchir qu’il serait plus difficile pour miss Helstone que pour lui d’escalader un mur ou de traverser une haie, il la conduisit par une courte traverse qui ne menait à aucune ouverture. La conséquence fut qu’il se trouva obligé de l’aider à franchir de formidables obstacles, et tout en la raillant de sa faiblesse, il éprouvait une vive satisfaction de se sentir utile.

« Martin, avant de nous séparer, assurez-moi sérieusement, et sur votre parole d’honneur, que M. Moore est mieux.

— Combien vous pensez à ce Moore !

— Non… mais… beaucoup de ses amis peuvent me demander de ses nouvelles, et je désire pouvoir leur donner une réponse exacte.

— Vous pouvez leur dire qu’il est assez bien, seulement paresseux. Vous pouvez leur dire qu’il mange des côtelettes de mouton à dîner, et la meilleure arrow-root pour souper. J’en interceptai un soir un bol au passage, et j’en mangeai la moitié.

— Et qui le soigne, Martin ? qui est auprès de lui ?

— Qui le soigne ?… le grand enfant ! eh mais, une femme aussi ronde et aussi grosse que notre plus gros tonneau, une rude et laide vieille fille. Je ne doute pas qu’elle ne mène près de lui riche vie : personne qu’elle ne l’approche ; il est presque dans l’obscurité. Je crois qu’elle lui administre de terribles corrections dans cette chambre. Je colle quelquefois mon oreille au mur lorsque je suis couché, et il me semble que je l’entends