Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/595

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tress Pryor, mais d’un sombre et mâle visage. Elle laissa tomber son arrosoir, et descendit du piédestal.

« Je viens de rester une heure avec maman, dit l’intrus. J’ai eu avec elle une longue conversation. Où êtes-vous allée pendant ce temps-là ?

— À Fieldhead. Shirley est aussi fantasque que jamais, Robert. Elle ne répond ni oui ni non à aucune des questions qu’on lui adresse. Elle se plaît seule : je ne pourrais dire si elle est mélancolique ou nonchalante : si vous l’excitez ou la raillez, elle vous jette un regard moitié pensif, moitié insouciant, qui vous rend aussi étrange, aussi malade qu’elle. Je ne sais ce que Louis fera d’elle ; pour ma part, si j’étais gentleman, je pense que je ne voudrais pas l’entreprendre.

— Ne vous mettez pas en peine d’eux : ils ont été faits l’un pour l’autre. Louis, c’est étrange à dire, ne l’aime que mieux à cause de ses caprices. Si quelqu’un est capable de la gouverner, c’est lui. Elle le soumet à de rudes épreuves, cependant. Avec son caractère calme, il a eu à lui faire une cour orageuse ; mais vous voyez que pour lui tout se termine par la victoire. Caroline, je vous ai cherchée pour vous demander une audience. Pourquoi les cloches sonnent-elles ?

— Pour le rappel de votre terrible loi, les ordres que vous haïssez tant. Vous êtes content, n’est-ce pas ?

— Hier soir, à cette même heure, j’emballais quelques livres pour un voyage à travers l’Océan : c’étaient les seules possessions, excepté quelques habits, des semences, des racines et des outils, que je me crusse libre d’emporter avec moi au Canada. J’allais vous quitter.

— Me quitter ? »

Ses petits doigts s’attachaient à son bras. Elle paraissait effrayée.

« Pas maintenant, pas maintenant. Examinez mon visage ; oui, regardez-moi bien : est-ce que vous y lisez le désespoir de la séparation ? »

Elle vit une physionomie animée, dont les caractères étaient tous radieux, bien que la page elle-même fût sombre : ce visage, puissant par la noblesse de ses traits, versa sur elle l’espérance, l’amour, la joie.

« Est-ce que ce rappel vous fera du bien, beaucoup de bien, un bien immédiat ? demanda-t-elle.

— Le rappel des ordres en conseil me sauve. Maintenant, je