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LES MANUSCRITS
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de rouleaux de parchemin ou de papyrus. Au milieu d’un profond silence, le lecteur dictait le texte aux copistes : esclaves de condition, souvent élevés et instruits à grands frais, ceux-ci étaient d’habiles écrivains qui, pour toute rémunération, recevaient la nourriture, le logement et l’entretien ; désignés généralement sous le nom de servi litterarii, ils étaient aussi, mais abusivement, appelés librarii à l’instar des copistes libraires. Chaque calligraphe s’empressait de reproduire soigneusement les mots ou la phrase dont il écoutait attentivement la lecture. Le travail se continuait de la sorte jusqu’à achèvement. Le parchemin était alors confié au correcteur, grammairien ou éditeur de profession, chargé de reviser le texte, de rectifier les interprétations erronées du lecteur et de corriger les fautes du copiste.

Encore, ne parvenait-on point de la sorte à éviter les erreurs. Cicéron manifeste à maintes reprises dans ses écrits le mécontentement qu’il éprouvait des inexactitudes imputables à la main des copistes et à la négligence des correcteurs. Strabon, qui vint au monde vers l’an 60 avant Jésus-Christ et qui vivait encore sous le règne de Tibère (42 av. J.-C. — 37 ap. J.-C.) exprime des plaintes analogues au sujet des scribes d’Alexandrie. — Au reste, le mal n’était pas nouveau : il avait pour ainsi dire toujours existé. Lycurgue, un orateur athénien (396 — 323 av. J.-C), outré des multiples défauts qui déshonoraient les manuscrits de son époque, avait fait relever les diverses variantes des plus anciens drames et exécuter un exemplaire modèle déposé dans l’Acropole d’Athènes.

Le correcteur n’est donc point — comme on serait porté à le croire — un de ces artisans auxquels la technique de l’art de Gutenberg a donné naissance, comme elle devait le faire dès ses débuts pour le fondeur, le compositeur, l’imprimeur et, plus tard, pour le clicheur.

Boutmy paraît ainsi avoir commis une méprise singulière en écrivant : « … Pourtant le jour même où le compositeur est né, le correcteur a paru[1] … » Bien avant « le jour où le compositeur est né », le correcteur existait. « Le jour même où le copiste était né, le correcteur avait paru ; sitôt qu’une ligne, qu’une page avait été écrite, elle avait dû être lue. » Ainsi, lorsque l’imprimerie naquit, depuis de longs siècles le correcteur

  1. Boutmy, Dictionnaire de l’argot des typographes, p. 41.