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TRISTAN ET ISEULT

plus complète indépendance de toute préoccupation théorique, et pendant la composition je sentais de combien mon essor dépassait les limites de mon système. Il n’y a pas de félicité supérieure à cette parfaite spontanéité de l’artiste dans la création, et je l’ai connue, cette spontanéité, en écrivant Tristan. » C’est grâce à cela que beaucoup de personnes se contenteront de voir en ce prodigieux et palpitant poème musical le poème de la passion et de la douleur, le poème de la mort, sans doute, avec ce qu’elle a d’insondable, avec son néant, mais le poème de la vie aussi et surtout avec sa réalité de délices et de souffrances, de joies et de peines. Comme dans Roméo et Juliette, il y a dans Tristan et Iseult un peu du cœur de chacun de nous. Comme celui de Shakespeare, le poème de Wagner est universel, sera universellement compris.

Le prélude frissonnant d’angoisse voluptueuse, hurlant d’ivresse furibonde que l’on a entendu si souvent aux concerts résume très nettement ce poème. Il fait entendre, dans le style chromatique, qui est celui de la partition entière, les principaux motifs de cette partition, motifs que l’auteur, pour la première fois, devait développer symphoniquement, transformer, combiner les uns avec les autres selon les nécessités du drame,