Page:Brunet - Evangiles Apocryphes, 1863.djvu/52

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tout ; écoute ton fils unique ; exauce-moi : je t'implore pour une de tes créatures, pour mon père Joseph. Fais descendre vers moi un de tes grands chérubins, accompagné du chœur des anges, de Michel le dispensateur des biens, de Gabriel, celui de tes Éons resplendissants[1], qui est chargé de tes heureux messages ; qu'ils viennent prendre soin de l'âme de mon père, qu'ils la guident vers toi jusqu'à ce qu'elle ait traversé les sept Éons de ténèbres, et qu'elle ait dépassé les voûtes obscures qui inspirent tant d'effroi, et où l'on a le spectacle de châtiments dont la vue inspire l'horreur ; que le fleuve de feu coule semblable à de l'eau, que la mer aux ondes furieuses cesse d'être agitée, que les flots deviennent tranquilles pour l'âme de mon père Joseph ; car c'est maintenant que la miséricorde lui est nécessaire. » Je vous les dis à tous, qui êtes les saintes parties de moi-même, ô mes apôtres bénis, que tout homme qui est venu dans ce monde a connu le bien et le mal ; et, tant que dure sa vie, quelque grand qu'il soit à ses propres yeux, lorsqu'il est près de sa fin, il a besoin de la compassion de mon Père céleste à l'heure de sa mort, à celle du voyage qui la suit, et au moment où il doit rendre ses comptes devant le tribunal redoutable. Mais je veillerai sur les derniers moments de mon père Joseph, aux souvenirs si purs. Lorsque j'eus dit Amen, ma mère le répéta après moi en un langage céleste, et aussitôt Michel et Gabriel, et le chœur des anges, descendirent du ciel, et se tinrent sur le corps de mon père Joseph. On entendit alors retentir sur lui des plaintes et des gémissements, et je connus que sa dernière heure était arrivée. Il éprouva des douleurs semblables à celles d'une femme en mal d'enfant. La souffrance le tourmentait aussi fort qu'un vent violent et qu'un feu ardent qui dévore de nombreux aliments. Quant à la Mort, la crainte ne lui avait pas permis d'entrer pour se placer sur le corps de mon père Joseph, et pour

opérer la fatale séparation, parce qu'en dirigeant ses regards dans l'intérieur de la maison, elle m'avait aperçu assis auprès de sa tête et incliné sur ses tempes. Dès que je vis qu'elle hésitait à entrer par suite de la frayeur que je lui inspirais, je franchis le seuil de la porte, et je la trouvai là, seule, et toute tremblante. Alors, m'adressant à elle : « O toi, lui dis-je, qui es accourue

  1. Les gnostiques donnaient le nom d'Éons aux intelligences émanées de Dieu. Valentin, qui vivait à Alexandrie dans le second siècle de notre ère, en présenta une théorie complète. (Voir Matter. Hist. du gnosticisme, 3eme édition, t. H, p.53)