Page:Brunet - Les hypocrites (1) - La folle expérience de Philippe, 1945.pdf/22

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Cette page a été validée par deux contributeurs.
23
DE PHILIPPE

n’avait pas de clef) et s’introduisant par la porte de cave, qu’il savait que l’on fermait mal, son ami pénétrait dans la maison, Philippe se promenait sur l’étroit trottoir de la cour, la tête haute, et le regard supérieur. De temps en temps, il n’en regardait pas moins, à droite et à gauche, soucieux qu’ils n’aient pas été aperçus par les voisins.

Rayonnant, Dufort arrivait :

— Je n’ai trouvé que quarante dollars, mais c’est toujours ça.

— Ce n’est pas beaucoup, mais nous pourrons tout de même aller dans une maison moyenne.

Alors, ils ne dirent plus mot. Ce dont leurs nuits avaient rêvé se réaliserait enfin. Une angoisse tenait leur poitrine, et ils avaient la bouche sèche. Ils étaient à la lisière de toute la poésie du monde, de tout le mal du monde et de toute la virilité du monde.

Lentement, ils allaient sans hâte, non qu’ils voulussent retarder le plaisir, mais une pudeur adolescente les retenait encore, et, inconsciemment, ils regardaient goulûment cet univers qui, dans quelques instants, ne serait plus le même. Ils feignaient de faire les hommes, et ils allaient vers un inconnu qui les effrayait. Dès longtemps, ils avaient perdu leur pureté, et, pourtant si leurs discours se ponctuaient de grivoiseries, ils y mettaient trop d’ardeur pour qu’il n’y eût pas quelque provocation, quelque affectation, et ils ne songeaient jamais