Page:Brunetière - Honoré de Balzac, 1906.djvu/79

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justement, quand on y prend garde, l’une des raisons de la valeur du roman de Balzac.

On a dit du vieux Dumas qu’il était « une force de la nature » ; et jamais éloge plus pompeux ne fut moins mérité : le vieux Dumas ne fut qu’un nègre, tout heureux d’exploiter des blancs, et qui en riait jusqu’aux oreilles. Mais c’est à Balzac que convient le mot de Michelet : « Une force de la nature » ! Oui, si l’on entend par ce mot une puissance obscure et indéterminée, une fécondité sans mesure ni règle ; une sourde activité, qui s’accroît des obstacles qu’on lui oppose, et qui tourne ceux qu’elle ne renverse pas ; une inconscience dont les effets ressemblent, en les surpassant, à ceux du plus profond calcul, inégale d’ailleurs, capricieuse, « tumultuaire », si j’ose ainsi dire, et capable en sa confusion d’engendrer des « monstres » aussi bien que des chefs-d’œuvre : tels sont précisément l’imagination et le génie de Balzac. Une telle force n’a pas besoin d’art. Tout ce qu’elle contient en soi aspire nécessairement à être, et sera, si les circonstances le permettent. Elle ne forme pas d’autres projets, elle n’a pas d’autres intentions, plus