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Page:Brunetière - L’Évolution de la poésie lyrique en France au dix-neuvième siècle, t2, 1906.djvu/175

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M. LECONTE DE LISLE

Et l’eau vive s’endort dans les porphyres roux,
Les rosiers de l’Iran ont cessé leurs murmures,
Et les ramiers rêveurs leurs roucoulements doux.
Tout se tait. L’oiseau grêle et le frelon jaloux
Ne se querellent plus autour des ligues mûres.
Les rosiers de l’Iran ont cessé leurs murmures,
Et l’eau vive s’endort dans les porphyres roux.


Est-ce qu’il n’y aurait là, Messieurs, qu’une description, comme on l’entendait dans l’école romantique, ou une vision, l’une des plus gracieuses et des plus voluptueuses qu’un poète ait jamais caressées dans ses vers ? Mais j’y trouve quelque chose de plus, et pour ainsi parler, dans une seule pièce, tout un « raccourci » d’histoire. Oui, cette « Persane royale », sous « sa vérandah close », dans sa prison enchantée... ces « longs yeux noirs » charmants et inexpressifs... tout ce bel animal féminin, vide, si je puis ainsi dire, de sentiment et de pensée... ce luxe aussi qui l’entoure, et qui la garde, ce « treillis d’argent », ces « coussins de soie », ces « vasques de porphyres », n’est-ce pas le résumé de ce que trois mille ans de civilisation orientale ont réussi à faire de la femme ? le terme où sont venus aboutir les efforts des Darius et des Artáxercès ? et s’il s’y est mêlé depuis eux quelque diose de plus musulman, ne le retrouverons-nous pas. Messieurs, dans la savante monotonie du rythme, dans son arabesque, et dans ses entre-lacs[1] ?

  1. Voir encore Néférou-Rà, le Cœur de Hialmar, la Mort de Sigurd, le Massacre de Mona, Nurmahal, le Corbeau, la Tête du comte ; et dans les Poèmes antiques : Çunacépa par exemple, ou Niobé, etc.