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Page:Brunetière - L’Évolution de la poésie lyrique en France au dix-neuvième siècle, t2, 1906.djvu/179

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M. LECONTE DE LISLE


S’est-on assez moqué de ce vers de Boileau ! s’en moque-t-on encore assez de nos jours même ! Et cependant on ne saurait mieux résumer, en moins de mots, plus clairement, d’une manière plus expressive, ce qui était alors la règle, la loi des lois de l’art de peindre comme de celui d’écrire. Tout s’exprimait alors en fonction de l’humanité, — non seulement les pensées ou les sentiments de l’homme, ses vertus ou ses vices, — mais aussi les choses mêmes, et jusqu’aux énergies cachées de la nature ! Un fleuve était un homme de pierre dont « la barbe limoneuse », entremêlée d’attributs aquatiques, et l’allure pour ainsi dire coulante semblaient analogues à sa nature fluide. L’inépuisable fécondité de la nature se représentait sous la flgure d’une femme de marbre, dont la construction géante, les seins robustes, les larges flancs disaient éloquemment la promesse des générations à venir. Je vous laisse le soin de trouver d’autres exemples !… En deux mots, la forme humaine, — avec ce qu’elle comportait d’altérations, d’atténuations ou d’exagérations sans cesser pour cela d’être humaine, — était censée pouvoir tout dire. L’homme était la « mesure de toutes choses ». Et ce que l’on désespérait de réussir à rendre par le moyen de la forme humaine, on en était arrivé à croire qu’il ne valait pas la peine d’être dit ou représenté[1].

  1. Consultez Burckhardt : la Civilisation en Italie au temps de la Renaissance ; et surtout Fromentin, dans ses Maîtres d’autrefois. La page entière vaut bien d’être ici reproduite : « Il existait une habitude de penser hautement, grandement,