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Page:Brunetière - Questions de critique, 1897.djvu/16

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QUESTIONS DE CRITIQUE

pas même pour un suspect, et je ne puis reconnaître à ces traits un irrégulier, un réfractaire, ui révolté.

C’est qu’aussi bien, s’il aime à penser librement, Rabelais aime encore davantage à penser tranquillement. Rien en lui de l’humeur ou du tempérament d’un apôtre, ni seulement d’un réformateur, rien de la sombre obstination de Calvin ou du fanatisme agressif des Estienne, mais un homme qui sait calculer les occasions et les temps, prendre le vent, se taire faire à propos le mort, et toujours ne s’aventurer ou ne se commettre qu’à bon escient. Le premier livra de Pantagruel avait paru pour la première fois en 1533, et Gargantua en 1535, — ou peut-être en 1532, — à Lyon, sans nom d’auteur, ou plus exactement sous le pseudonyme devenu depuis fameux d’Alcofribas Nasier. Rabelais attendit douze ou treize ans à faire paraître son troisième volume, — le deuxième livre de Pantagruel, 1546, — et, s’il y mit cette fois son nom, c’est qu’il se croyait, c’est qu’il pouvait se croire assuré de la protection de François Ier. Sauf quelques circonstances, contre lesquelles ne peut rien toute la prudence humaine, on le trouve en effet toujours « au bon bout », je veux dire du côté du pouvoir et n’épargnant rien pour s’y maintenir. Si ses ennemis l’attaquent sur une plaisanterie qui pourrait bien sentir quelque peu le fagot, il s’en excusera par une autre, mais, si cela ne suffit pas, il effacera la première, et il n’entendra pas raillerie