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Page:Brunetière - Questions de critique, 1897.djvu/17

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SUR UN BUSTE DE RABELAIS

sur l’article de ses ratures. En 1512, il se fâcha tout net avec son ami Dolet, — celui dont on a fait le Martyr de la renaissance, et qui le fut surtout de la violence de son caractère, — parce que Dolet, dans une édition des deux premiers livres, avait rétabli quelques hardiesses que Rabelais en avait effacées. On notera que, si le livre eût été signé, l’imprimeur eût couru pour le moins autant de risques que l’auteur ; mais, comme il ne l’était point, Dolet, dans l’espèce, était seul à les courir : il faut voir cependant de quel ton Rabelais le désavoua ! Mais aussi, grâce à cette prudence, il se tira, les braies nettes, comme il eût pu dire en son gaulois, et la vie sauve, d’une aventure où dix autres eussent laissé leur liberté ou leurs os, et j’avoue que j’ose à peine le lui reprocher, ou plutôt je ne le lui reproche pas du tout ; — pour le cas que les hommes font de la vérité !

Cette connaissance de son vrai caractère nous permettra de nous faire de son œuvre une plus juste idée, plus exacte, moins superficielle, plus conforme à lui-même.

On n’en louera jamais assez les qualités tout à fait singulières, le mérite, l’importance unique dans l’histoire de la littérature française, ou même européenne. Le Pantagruel de Rabelais, c’est notre Roland furieux ; c’est notre Don Quichotte ; c’est en même temps notre Gulliver ; et c’est encore quelque chose de plus, que nous essaierons de dire tout à