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Page:Brunetière - Questions de critique, 1897.djvu/25

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SUR UN BUSTE DE RABELAIS

toute Harmonie et toute Bonté, la mère de toute Santé de l’esprit et du corps. Longtemps persécutée par les « Matagots, Cagots et Papelards », par les « Briffaux, Caphards, Chattemites et Cannibales », la voilà libre enfin, émancipée pour toujours du cloître et de la scolastique, rendue à elle-même, libre d’aller, de venir, de parler, d’agir, d’étaler au soleil sa splendeur et sa fécondité. Rabelais est un adorateur de la Nature, adorateur ardent, l’un des plus ardents qu’il y ait peut-être jamais eus, capable de s’élever, pour en célébrer les mystères, lui, « le charme de la canaille », jusqu’aux accents du plus pur lyrisme, mais aussi qui l’adore tout entière, dans toutes ses fonctions, sans distinction ni préférence, avec la liberté d’un médecin, le cynisme d’un moine, et l’impudeur d’un païen. Voilà ce qu’il y a « d’excessif » et de « prodigieux » dans son œuvre. Voilà ce qu’il a figuré ou symbolisé dans ces ogres joyeux et dans ces bons géants dont il a fait les héros de son livre, dans sa Gargamelle et dans son Grandgousier : une humanité dont les capacités égaleraient les appétits, celui de manger ou de boire aussi bien que celui de savoir ; dont les appétits se renouvelleraient comme d’eux-mêmes en se satisfaisant ; dont il n’y aurait pas jusqu’aux manifestations inférieures qui ne fussent admirables pour leur régularité, leur abondance, leurs étonnants effets ou leur gigantesque ampleur. Et voilà ce qui fait de lui le représentant par excellence de ce qu’il y a de meilleur