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A l’Oratoire au contrarie, la lecture française devait être la première. Cela résultait du système pédagogique général que l’on adoptait et qui plaçait un commencement d’éducation française au seuil de l’éducation latine[1].

Mais les maîtres de Port-Royal furent autrement nets dans leur doctrine[2] : « C’est une faute tres-grande, disent-ils, que de commencer, comme on fait d’ordinaire, à montrer à lire aux enfans par le Latin, et non par le François. Cette conduite est si longue et si penible, qu’elle ne rebute pas seulement les Escoliers de toute autre instruction, en prévenant leur esprit dés leur plus tendre jeunesse, d’un dégoust et d’une haine presque invincible pour les Livres et l’étude ; mais elle rend aussi les Maistres impatiens et fâcheux, parce que les uns et les autres s’ennuyent également de la peine et du temps qu’ils y employent[3]. »

De leur côté, les écoles protestantes étaient assez avancées et auraient pu, si on les avait laissé subsister, faire naître une heureuse émulation. Le français y tenait une place, qui n’était peut-être pas la première, mais qui était considérable. Ainsi à Nîmes, on commençait en 6e par la lecture en français[4].

Jean-Baptiste de La Salle fit enseigner la lecture en français par les frères des Écoles chrétiennes. Or on eut beau les traquer et les saisir à Paris, leur Institut finit par triompher de la jalousie des chantres et des maîtres écrivains coalisés[5] et son développement fut considérable. Malheureusement on sait ce qui advint des écoles jansénistes et protestantes. Le progrès des

  1. Au contraire, en Lorraine, le P. Pierre Fourier, curé de Mattaincourt, qui fondait ses écoles à la même époque, stipulait encore expressément que les élèves de la troisième classe liraient seulement en latin ; celles de la 2e lisaient en latin le matin, en français l’après-midi ; celles de première devaient apprendre à lire proprement en langue vulgaire et en latin (Voir les Vrayes constitutions des religieuses de la Congrégation de Notre-Dame, composées par le R. P. Fourier de Mataincourt, instituteur d’icelles, 1645, dans Maggiolo ; L’oeuvre pédagogique de Pierre Fourier de Mattaincourt en Lorraine, 1589-1646, Mémoires de l’Acad. de Stanislas, 1892, 5e série, t. X, p. 221).
  2. Cf. Sainte-Beuve, P.-R., III, 438.
  3. Bill. de Cicér., Préf. 2-3. Cf. « On commence en suite à leur donner des Livres François (après leur avoir fait apprendre à lire, dans les Prières et le Catéchisme), Estant donc en estat de pouvoir apprendre à lire dans les Livres François, il faudra leur en donner qui soient proportionnez à leur intelligence pour les matieres » (Ib., préf., 19-11).
  4. Voir D. Bourchenin, Étude sur les Académies protestantes. Paris, Grassart, 1882, 8e, p. 11. Les registres de paroisses protestantes présentent un nombre plus considérable d’actes signés. Ainsi à St-André de Valbergue (Gard), de 1681 à 1685,
    dans 24 mariages protestants ont signé 11 hom. 2 femmes.
    — 3 — catholiques — 0 hom. 0 fem.
  5. Voir Ravelet, Hist. de J.-B. de La Salle, 327 ; R. P. Garreau, La vie de Messire J.-B. de La Salle, et le P. Chauvin : Les Humanités modernes (Articles publiés dans La Quinzaine, 16 sept. et 1er oct. 1897).