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donc que le François nous doit servir d’introducteur et de truchement dans le pays Latin ; il faut qu’il aille un pas devant luy, je veux dire, qu’il faut apprendre le François avant le Latin ; et on doit tellement affermir les enfans dans le stile familier et commun du François, par la lecture des Livres que j’ay marquez, en les leur faisant apprendre par coeur, que le Latin qu’ils apprendront en suite, ne soit pas capable d’alterer et de corrompre la pureté de leur François 1. » Sainte-Beuve a déjà souligné cette remarque si importante. L’enfant qui apprend le latin et n’a point étudié sa propre langue, loin de profiter de cette étude, risque d’y prendre et pour toujours des défauts de langage et de style 2. De là l’infériorité des pédants de collège. Guyot porte le même jugement. « C’est ce qui fait qu’en ce temps, les personnes les plus sçavantes, et qui entendent le mieux les Autheurs, ayant negligé leur langue naturelle pour apprendre les étrangeres, et renoncé au commerce des vivants, pour ne converser qu’avec les morts, ne peuvent traduire leurs Ouvrages que d’une maniere toute morte et étrangere, et se rendent ainsi moins capables des grands emplois de la Chaire, et du Barreau 3. »

ADHÉSIONS ET RÉSISTANCES. — A Sedan, à l’école protestante, le règlement de 1615 n’admettait que des enfants sachant lire en français 4.

Chez les Jésuites, les Institutions du P. Jouvancy acceptèrent qu’on se servît de la langue maternelle comme langue auxiliaire dans les petites classes, avec les enfants 5, pour leur expliquer un texte ancien, et même plus tard pour préparer, comme nous dirions aujourd’hui, une composition 6.

Dans les Universités, malgré les avertissements, qui n’avaient pas manqué 7, malgré la concurrence, l’opposition fut extrêmement

1. Billets Cicér., préf., 18.

2. Il est bien certain, disait-on à Port-Royal, que, quand on n’est pas assez affermi dans sa langue propre, les langues étrangères nous entraînent insensiblement à leurs expressions., surtout quand on ne connaît les choses que par elles, comme il arrive aux enfants, et nous font parler latin avec des termes français (Sainte-Beuve, P.-R., III, 443).

3. Billets Cicér., préf., 20.

4. Bourchen., o. c., 200.

5. Voici comment un maître de basse classe expliquera une fable de Phèdre : « Il parlera en français aux enfants qui ne comprennent pas encore le latin, quoique tout ici soit écrit en latin… On expliquera de même en français les mots, et l’on ne se bornera pas à les expliquer une fois, mais on y reviendra deux ou trois fois, si c’est utile » (Jouv., Man. d’appr., 111).

6. Il sera bon d’écrire en français, langue qui prête moins à l’obscurité, le plan du sujet que l’on doit écrire en latin (Id., Ib., 20).

7. Voir le Dessein d’une nouvelle méthode pour instruire la jeunesse, présenté à