Page:Brunot - Histoire de la langue française, des origines à 1900 — Tome 7.pdf/163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toutes les lettres doivent être prononcées ; il n’en est pas de même pour ceux qui n’ont eu d’abord, entre les mains, que des ouvrages en langue latine. La lecture du français conserve pour eux toutes les difficultés qu’elle offre à ceux qui ne savent que réunir des lettres pour en former des syllabes et des mots. Aussi la plupart des enfants pauvres quittent-ils l’école ne sachant pas lire le français et ne lisant le latin que d’une manière ridicule ou incorrecte.

Enfin, dans nos écoles, la lecture du français peut seule aider les maîtres à développer l’intelligence des enfants et à former leur cœur. Les ouvrages latins ne renferment pour eux qu’une lettre morte et des mots incompris ; ils n’ont à s’en servir que pour suivre les offices de l’Eglise ; lorsqu’ils lisent en français, ils peuvent, au contraire, utiliser aussi leurs loisirs, dans leurs familles, par de bonnes et fructueuses lectures »[1].

La Première éducation des Enfans (1789) se prononce également, dès le début des Instructions pour les personnes qui veulent enseigner, en faveur de la lecture en français d’abord : « La langue Françoise nous étant la plus naturelle, la plus facile et la plus importante, c’est par elle que l’on doit faire commencer les Ecoliers, parce que, comme les Enfans entendent prononcer et prononcent souvent eux-mêmes une partie des mots qu’on veut leur apprendre, la connoissance qu’ils en ont déjà, aide leur foible intelligence, leur donne du goût pour la lecture, et leur fait faire beaucoup plus de progrès qu’en commençant par leur faire lire en latin, qui est pour eux une langue étrangère. Il ne faut donc faire passer les Enfans à la lecture du Latin, qu’après les avoir bien affermis dans celle du François »[2].

Dans certaines écoles de filles, on avait, pour trancher la difficulté, essayé de faire deux parts de la journée, en plaçant l’école latine le matin, l’école française l’après dîner.

Mais presque partout les maîtres continuaient à enseigner comme ils avaient appris eux-mêmes. Malgré tout, et quoiqu’on ait imaginé au XVIIIe siècle toutes sortes de procédés pour hâter l’apprentissage de la lecture : jeu de dés, écran, bureau typographique, quadrille des enfants, etc., il a été impossible de réaliser le progrès le plus naturel, celui qui s’imposait. Ici les correspondants de Grégoire n’ont fait que rapporter la vérité : « Après le Syllabaire, les enfants passent à la lecture de l’Office de la Vierge en latin, afin de pouvoir aider à chanter vêpres aux curés » (Lett. à Grég., p. 141). « On apprend d’abord aux enfants à lire le latin, puis le français dans l’Instruction pour la jeunesse, ou quelque livre semblable » (Muni-

  1. Cité dans la Vie du Vble J.-B. de la Salle, 2° éd., 1876, 446-447.
  2. P. 2. L’approbation imprimée à la suite de la Grammaire est de février 1780.