Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/101

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lumière laiteuse. D’où venait cette nébuleuse, cette unité, qui s’est fractionnée en une collectivité de soleils aussi nombreux que les grains de sable de nos plages ? Avait-elle toujours été isolée ? Provenait-elle du fractionnement d’une masse plus grande encore ? C’est cette dernière hypothèse qui serait la plus probable. Et sans cesse les limites du problème se reculent ; sans cesse, dans l’espace illimité du ciel, doivent se produire des transformations semblables à celles que nous venons de décrire. Chaque jour, peut-être, des nébuleuses nouvelles sont produites par fractionnement de nébuleuses plus anciennes, des soleils nouveaux se forment dans des nébuleuses, des planètes se condensent dans les atmosphères des soleils, se solidifient et se refroidissent, puis, sans doute, se disloquent, quand leur température est tombée au-dessous d’un certain degré, se divisant en d’innombrables fragments que d’autres astres attirent, qui s’enflamment par le frottement et qui donnent naissance à des nébuleuses nouvelles.

Rapport entre la théorie de Buffon et la théorie moderne. J’ai dit plus haut que le but suprême de la science devait être de chercher à expliquer et à relier les faits par des conceptions aussi générales que possible, et que les théories rendant compte du plus grand nombre de phénomènes soit aussi les plus probables. Ai-je besoin d’ajouter qu’à ce titre la théorie de Laplace laisse si loin derrière elle celle de Buffon que c’est à peine s’il est permis de rappeler cette dernière. Il ne faut pas oublier cependant qu’à Buffon revient l’honneur d’avoir vu, le premier, les relations qui existent entre nos planètes et notre soleil, et celui d’avoir affirmé l’origine commune de tous ces astres. La grandeur de cette conception doit faire oublier le choc de sa comète. À lui aussi appartient le mérite d’avoir formulé, en termes admirables, la loi suprême qui régit l’univers, celle de la transformation incessante de la matière et des corps qu’elle forme. N’est-ce pas ici le lieu de rappeler l’admirable page par laquelle débutent les Époques de la nature, où il trace le grandiose tableau des transformations de la matière et montre à la science le champ sans limites qu’elle doit exploiter.

« Comme dans l’histoire civile, on consulte les titres, on recherche les médailles, on déchiffre les inscriptions antiques pour déterminer les époques des révolutions humaines et constater les dates des événements moraux ; de même, dans l’histoire naturelle, il faut fouiller les archives du monde, tirer des entrailles de la terre les vieux monuments, recueillir leurs débris, et rassembler en un corps de preuves tous les indices des changements physiques qui peuvent nous faire remonter aux différents âges de la nature. C’est le seul moyen de fixer quelques points dans l’immensité de l’espace, et de placer un certain nombre de pierres numéraires sur la route éternelle du temps. Le passé est comme la distance ; notre vue y décroît et s’y perdrait de même, si l’histoire et la chronologie n’eussent placé des fanaux, des flambeaux aux points les plus obscurs ; mais, malgré ces lumières de la tradition écrite, si l’on remonte à quelques siècles, que d’incertitudes dans les