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Il montrait ce musée, il fournissait aux visiteurs des explications sur l’origine des différentes pièces et présentait ces dernières comme des preuves à l’appui de sa doctrine. « Il lui tomba entre les mains, dit un de ses panégyristes du xviiie siècle[1], un livre de Cardan qu’on avait traduit en français, et qui attribuait au déluge les coquillages fossiles. Il rejeta hautement ce système, fondé sur un raisonnement bien simple : c’est que ce qu’on nous dit du déluge donne l’idée d’un événement subit, et, pour ainsi dire, momentané, au lieu que ce qu’on remarque dans la terre est l’ouvrage d’un grand nombre de siècles. » Mais les idées de Palissy n’eurent aucun succès ; on persévéra dans les errements du passé et à l’époque de Buffon presque tous les systèmes scientifiques relatifs à l’histoire de la terre attribuaient la distribution générale des fossiles au déluge. Quand on objectait la profondeur à laquelle un grand nombre se trouvent dans les entrailles de la terre, les partisans de la doctrine diluvienne répondaient qu’ils avaient été transportés en ces points par des canaux souterrains aujourd’hui comblés, mais qui, autrefois, faisaient communiquer diverses parties de la terre ferme avec la mer. Si on leur parlait des fossiles qui se trouvent au sommet des montagnes, où nul canal souterrain n’avait pu les conduire, les mêmes gens répondaient que des semences d’animaux marins avaient filtré avec les eaux à travers les terres jusqu’aux plus grandes hauteurs où elles avaient été fécondées par les neiges. Quant aux esprits plus éclairés, qui auraient été tentés d’adopter les idées de Palissy ou qui même en étaient les partisans, ils cachaient leurs pensées au fond de leur conscience. « Quoique sûrs de leurs principes, dit Malesherbes, ils craignaient l’abus qu’on en pourrait faire ; » ils redoutaient « de s’annoncer pour les défenseurs d’un système qui aurait pu rendre leur religion suspecte[2]. » C’est qui advint à Buffon après la publication de sa Théorie de la terre ; la censure énergique dont il fut l’objet de la part de la Sorbonne, la soumission à laquelle il dut se résigner afin d’éviter l’interdiction de son œuvre, témoignent du peu de sécurité qu’il y avait, en plein xviiie siècle, pour les savants qui osaient chercher ailleurs que dans le déluge biblique la cause de la présence des fossiles marins dans les lieux les plus éloignés de la mer et les plus élevés au-dessus de son niveau actuel. Avant Buffon cependant, ou plutôt à peu près en même temps que lui, un voyageur français, Dumaillet, s’était prononcé en faveur de la doctrine de Palissy, dans un ouvrage qui resta longtemps manuscrit et qui finit par être imprimé, après avoir subi de regrettables modifications, soustractions et additions, sous le titre de Telliamed (anagramme de Dumaillet)[3]. La terre y était repré-

  1. Observations de Lamoignon Malesherbes sur l’Histoire naturelle générale et particulière de Buffon et Daubenton, t. Ier, p. 135.
  2. Loc. cit., t. Ier, p. 260.
  3. Le titre exact est Telliamed, ou entretiens d’un philosophe indien avec un missionnaire français, mis en ordre sur les mémoires de feu M. Demaillet par J.-A. G***