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sentée comme ayant été entièrement recouverte par les eaux de la mer pendant une très longue période de temps, et tous les animaux terrestres, sans en excepter l’homme, y étaient considérés comme des organismes aquatiques graduellement transformés par le changement du milieu.

Explication des fossiles. Si Buffon n’est pas le premier[1] qui ait compris l’importance des fossiles, en tant que monuments de l’histoire de la terre, s’il n’est pas le premier qui ait donné de leur présence une explication scientifique, c’est du moins à lui qu’appartient l’honneur d’avoir rassemblé tous les faits découverts aux époques antérieures, et d’en avoir tiré les éléments d’une histoire de la terre assez exacte pour que ses successeurs n’aient eu qu’à la compléter, en en rectifiant quelques traits.

Comme on avait trouvé des fossiles marins dans une foule de points très éloignés les uns des autres, sous toutes les latitudes et longitudes, et à toutes les altitudes et profondeurs, il se crut autorisé à affirmer qu’ils existent réellement partout et dans tous les terrains, et, point capital de sa théorie, jusque sur le sommet des plus hautes montagnes. « Il paraît certain, dit-il dans son Histoire et théorie de la terre[2], que la terre actuellement sèche et habitée a été autrefois sous les eaux de la mer, et que ces eaux étaient supérieures aux sommets des plus hautes montagnes, puisqu’on trouve sur ces montagnes et jusque sur leurs sommets des productions marines et des coquilles qui, comparées avec les coquillages vivants, sont les mêmes, et qu’on ne peut douter de leur parfaite ressemblance, ni de l’identité de leurs espèces. » Plus tard, il est vrai, son opinion se modifia quelque peu. Il admit qu’au-dessus d’une certaine hauteur les montagnes pouvaient être dépourvues de fossiles, mais il n’en persista pas moins à penser que

  1. Buffon n’ignore ni ne tait le rôle joué par Palissy dans l’histoire des fossiles. Il cite (t. Ier, p. 119) le passage suivant de l’Histoire de l’Académie de Fontenelle, dans lequel se trouve dignement consignée la découverte de Bernard Palissy, et où pleine justice est rendue au mérite de ce savant aussi grand que modeste. Voici ce passage : « Un potier de terre, qui ne savait ni latin ni grec, fut le premier, vers la fin du xvie siècle, qui osa dire dans Paris et à la face de tous les docteurs, que les coquilles fossiles étaient de véritables coquilles déposées autrefois par la mer dans les lieux où elles se trouvaient alors ; que des animaux, et surtout des poissons, avaient donné aux pierres figurées toutes leurs différentes figures, etc., et il défia hardiment toute l’école d’Aristote d’attaquer ses preuves ; c’est Bernard Palissy, Saintongeois, aussi grand physicien que la nature seule en puisse former un : cependant son système a dormi près de cent ans, et le nom même de l’auteur est presque mort. Enfin, les idées de Palissy se sont réveillées dans l’esprit de plusieurs savants, elles ont fait la fortune qu’elles méritaient, on a profité de toutes les coquilles, de toutes les pierres figurées que la terre a fournies ; peut-être seulement sont-elles devenues aujourd’hui trop communes, et les conséquences qu’on en tire sont en danger d’être bientôt trop incontestables. »

    Les regrets introduits par Fontenelle dans cet éloge de Bernard Palissy, n’échapperont pas au lecteur.

    Buffon fait encore remarquer que l’opinion de Bernard Palissy avait déjà été émise par les anciens. « Je ne puis, dit-il, m’empêcher d’observer que le sentiment de Palissy avait été celle des anciens, notamment d’Hérodote, de Platon, de Sénèque, de Plutarque, d’Ovide, etc. »

  2. T. Ier, p. 40.