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sionner ; si réellement l’étendue du pays soulevé fut de 298 989 kilomètres carrés, étendue précisément égale à celle de la moitié de la France, on aura cinq sixièmes de l’espace que comprend la Grande-Bretagne unie à l’Irlande. Si l’on suppose qu’en moyenne l’élévation n’a été que de 0m,90, on trouve que la masse de roche, ainsi ajoutée au continent d’Amérique, ou, en d’autres termes, que la masse qui, avant le tremblement de terre, était au-dessous du niveau des eaux, et qui, après, s’est trouvée d’une manière permanente au-dessus, doit avoir présenté un volume de 237 573 476 kilomètres carrés ; ce qui suffirait pour former une montagne conique de 3 200 mètres de hauteur (à peu près celle de l’Etna), et ayant environ 52 800 mètres de circonférence à sa base. On peut estimer la pesanteur spécifique moyenne de la roche à 2,655, moyenne assez exacte et fort commode dans de telles évaluations, parce qu’à ce taux le yard cube (0mc,7645) pèse 2 tonneaux. Or, si l’on admet que la grande pyramide d’Égypte, considérée comme une masse pleine, pèse, suivant une estimation qui a été déjà donnée, 6 millions de tonneaux, on arrive à cette conséquence que la quantité de roche ajoutée au continent par le tremblement de terre du Chili a surpassé 100 000 pyramides. Mais on ne doit pas perdre de vue que le poids de la roche dont il est ici question ne formait qu’une partie insignifiante de la résistance totale que les forces volcaniques avaient à surmonter. L’épaisseur de la roche comprise entre la surface du sol, au Chili, et les foyers souterrains de l’action volcanique peut bien être de plusieurs kilomètres ou de plusieurs lieues. Supposons que cette épaisseur soit seulement de 3 200 mètres, alors le volume de la masse qui s’est déplacée et élevée de 0m,90 sera encore de 832 000 kilomètres cubes, et, par conséquent, son poids excédera celui de 363 millions de pyramides. »

Je me suis étendu sur ces faits et j’ai tenu à exposer les considérations qu’ils ont provoquées de la part de l’illustre géologue anglais parce que plus que tous les autres qu’on pourrait invoquer, ils paraissent susceptibles de fournir un argument favorable à la théorie de Cuvier sur les révolutions du globe. Les partisans de cette théorie n’auraient-ils pas le droit de supposer que si, à notre époque, de pareils soulèvements brusques peuvent se produire, il a dû y en avoir de bien plus intenses aux âges reculés de la terre, alors que la croûte solide du globe avait une moindre épaisseur ? C’est, en effet, une argumentation qui a été produite, mais on remarquera qu’elle repose tout entière sur une série d’hypothèses dont il faudrait, au préalable, démontrer l’exactitude. Il faut admettre, en premier lieu, que la terre s’est refroidie de la périphérie au centre, ce qui n’est nullement démontré d’une manière rigoureuse ; en second lieu, partant de cette première hypothèse, il faudrait prouver que les grands soulèvements de montagnes se sont tous produits à l’époque où la croûte terrestre était encore assez mince pour permettre des exhaussements brusques de plusieurs centaines ou même de