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milliers de mètres, car des soulèvements moindres, si rapprochés qu’on les suppose, n’auraient pu déterminer les destructions brusques d’espèces entières d’animaux et de plantes que Cuvier et ses partisans mettent sur le compte de leurs révolutions. Or, cette deuxième supposition est contredite par tous les faits connus. On sait d’une manière positive que la plupart des grandes chaînes de montagnes n’ont commencé à se soulever qu’à une époque relativement récente, alors que la portion superficielle de notre globe offrait la solidité qu’elle présente aujourd’hui.

Il me paraît donc impossible de voir dans les soulèvements brusques, mais relativement très faibles dont nous avons parlé plus haut, un argument en faveur de la théorie des révolutions. J’y vois au contraire une preuve de la fausseté de cette théorie et un argument à l’appui de celle des causes actuelles. Rien n’empêche de supposer, par exemple, que la région des Andes ait été, depuis une époque extrêmement reculée, le siège de soulèvements faibles, semblables à ceux dont nous avons parlé, se renouvelant cinq, six, dix fois peut-être par siècle. En s’ajoutant les unes aux autres, ces modifications, en apparence insignifiantes, apportées au relief de notre globe, finissent nécessairement par changer ce relief, au point de le rendre méconnaissable et de remplacer une série de plaines par une chaîne de montagnes. Pour expliquer ces exhaussements faibles, mais très nombreux et se produisant pendant une très longue période de temps dans un même point du globe, il n’est pas nécessaire de supposer que la terre est liquide au centre, il suffit d’admettre l’existence de cavités pleines de liquides en fusion dans les régions où ils se produisent. Le grand nombre des foyers volcaniques qui existent dans les Andes, leur voisinage de la mer, les éruptions et les tremblements de terre fréquents dans toute cette région, permettent d’affirmer qu’il existe le long de la côte américaine du Pacifique, au-dessous de la chaîne des Andes, une série de cavités pleines de matières en fusion, communiquant avec la mer et se trouvant par suite en de bonnes conditions pour produire les exhaussements dont nous avons parlé.

La certitude où nous sommes aujourd’hui, d’après tous les faits connus, que les grandes chaînes de montagnes ont toutes été produites en plusieurs fois, apporte un témoignage important en faveur de cette manière de voir. D’autres faits encore la corroborent.

Exhaussements, affaissements lents et insensibles du sol. Parmi eux, je dois citer en première ligne les exhaussements insensibles qui se produisent de nos jours en certains points du globe. Il est aujourd’hui démontré qu’au niveau du cap Nord, le sol s’élève insensiblement d’environ 1m,50 par siècle. Un peu plus au sud, l’exhaussement séculaire n’est que de 30 centimètres ; plus bas encore, à la hauteur de Stockholm, il n’est que de 76 millimètres. En admettant que ces divers points continuent à s’élever dans les mêmes proportions, le cap Nord se serait, au bout de mille siècles, élevé de 1 500 mètres et formerait une véritable montagne par