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À l’appui de cette opinion on pourrait invoquer des faits d’une certaine valeur.

En premier lieu, M. Schutzenberger[1] a pu obtenir un véritable hydrate de carbone, en traitant à froid de la fonte blanche grossièrement pulvérisée, par une solution aqueuse de sulfate de cuivre. Ces corps : fer, carbone, sulfate de cuivre et eau, se rencontrant à la surface de la terre, on pourrait supposer que des corps ternaires analogues à celui qu’a pu produire expérimentalement M. Schutzenberger se sont formés spontanément pendant les premiers âges de notre planète.

Mais on peut objecter à cette supposition que nulle part, à la surface de notre globe, nous ne pouvons constater l’existence de corps ternaires et particulièrement d’hydrates de carbone existant en dehors des organismes vivants, ou du moins n’ayant pas tiré leur origine d’organismes vivants.

L’hypothèse que nous venons de résumer est connue dans la science sous le nom de théorie du carbone. Elle est formellement adoptée par la majorité des zoologistes les plus distingués, notamment par M. Haeckel[2].

M. Pflüger[3] en a récemment émis une autre qui nous paraît plus plausible. Il suppose qu’il s’est d’abord formé une combinaison d’azote et de carbone que les chimistes désignent sous le nom de cyanogène ; ce corps, en se combinant aux éléments de l’eau, aurait ensuite produit directement les matières quaternaires. À l’appui de cette opinion, on peut invoquer le fait bien démontré que le cyanogène se forme spontanément dans les points du globe qui contiennent des matières minérales incandescentes au contact desquelles se trouve de l’acide carbonique.

Quelle que soit la part de probabilité que contiennent ces hypothèses, elles ne peuvent qu’expliquer la formation des matières quaternaires et albuminoïdes. Il nous reste encore à rechercher comment a pu apparaître la vie.

Il existe, sans nul doute, une différence considérable entre la matière vivante et la matière non vivante. Cependant, quelque grande que soit cette différence, n’en retrouvons-nous pas d’analogue chez les corps inorganiques ? L’eau, par exemple, ne varie-t-elle pas constamment d’aspect et de propriété ? Tantôt elle se montre à nous répandue dans l’atmosphère à l’état de nuages, tantôt elle est étalée en nappe liquide à la surface du sol, tantôt elle couvre ce dernier d’un manteau solide. Or, nous savons fort bien que ces différents états résultent de l’action qu’exercent sur l’eau les agents extérieurs, notamment la température. Suivant que celle-ci s’élève ou s’abaisse, l’eau se présente avec des propriétés physiques absolument différentes ; cependant sa composition chimique reste toujours la même.

  1. Schutzenberger, Les Fermentations, p. 87.
  2. Hæckel, Histoire de la création des êtres organisés d’après les lois naturelles, p. 296 ; Generelle Morphologie der Organismen, t. II.
  3. Pflüger, In Archiv fur Physiologie, 10, 1875.