Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome I, partie 1.pdf/448

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observé : je demande ensuite ce qui doit être ; et parcourant, dans cette vue, les systèmes de plusieurs naturalistes modernes, je tâche de faire voir, contre leur sentiment, qu’il n’y a point eu jusqu’à présent, dans les plantes, d’exemples d’hybrides féconds, mais seulement de métis ; et que l’analogie porte à croire les espèce immuables, dans l’un et dans l’autre règne ».

Duchesne était cependant doué d’une grande sagacité d’esprit, et il est permis de croire que s’il n’eût pas été dominé par l’influence alors toute-puissante de Jussieu, il se fût volontiers rallié aux idées de Buffon. À propos de la filiation des variétés de fraisiers, il écrit[1] : « J’ai déjà dit, à l’occasion du fraisier ananas, qu’il était très difficile de ranger en ligne droite les diverses races d’une même espèce, de manière qu’on pût passer de l’une à l’autre par gradations de nuance. Cela est peut-être aussi impossible que de ranger en ligne droite les espèces, les genres et les familles ; par la raison que chaque race, comme chaque espèce, chaque genre ou chaque famille, a des rapports de ressemblance avec plusieurs autres. L’ordre généalogique est donc le seul que la nature indique, le seul qui satisfasse pleinement l’esprit ; tout autre est arbitraire et vide d’idées. J’ai eu soin, à chaque race de fraisiers, d’indiquer ce qui m’a paru vraisemblable à cet égard ; mais je n’ose me flatter d’avoir toujours montré juste. » Il figure dans un tableau les rapports généalogiques qu’il admet entre les différentes variétés de fraisiers. En cela, il ne fait qu’appliquer la doctrine de Buffon sur les rapports des organismes vivants. Nous avons vu, en effet, plus haut, que Buffon revient à chaque instant sur les rapports généalogiques des variétés et des espèces. Il fait dériver toutes nos races de chiens d’une seule ; toutes les espèces de pigeons de deux espèces primitives, toutes les races d’hommes d’une seule race, toutes les espèces animales sont reliées au point de ne former qu’une seule grande famille. Buffon ayant écrit tout cela vingt ans avant l’apparition du livre de Duchesne, il me paraît impossible de considérer l’élève de Jussieu comme un précurseur des idées modernes ; il proteste, au contraire, chaque fois qu’il en trouve l’occasion, contre les doctrines alors nouvelles, de Buffon et d’Adanson, et se montre le fidèle disciple de Linné et de Jussieu.

Depuis Linné, fondateur de l’espèce immuable, jusqu’à Cuvier et ses élèves, qui furent les derniers défenseurs de l’immutabilité, le grand argument en faveur de la permanence, de l’immutabilité, de la création indépendante des espèces est celui que nous venons de voir donner par Duchesne, « les hybrides ne donnent pas de produits féconds. » Ce à quoi Buffon et tous les partisans de la mutabilité répondaient en montrant les produits indéfiniment féconds de certaines espèces. Cependant les héritiers de la doctrine de Buffon y ajoutaient les exemples nombreux de variations produites à chaque instant sous nos yeux, soit par l’accouplement d’individus dissemblables, soit par

  1. Duchesne fils, Histoire naturelle des fraisiers, p. 219.