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jusqu’au traité de Darwin, qui parut juste un demi-siècle après, nous ne trouvons pas un autre livre qui puisse, sous ce rapport, se placer à côté de la Philosophie zoologique. » Hæckel fait remarquer ensuite l’indifférence qui accueillit l’admirable livre de Lamarck. « On voit encore mieux, dit-il, combien cette œuvre devançait son époque, quand on songe qu’elle ne fut pas comprise et resta pendant cinquante ans ensevelie dans un profond oubli. Le plus grand adversaire de Lamarck, Cuvier, dans son rapport sur les progrès des sciences naturelles, où il y a place pour les plus insignifiantes recherches anatomiques, ne trouve pas un mot à dire de cette œuvre capitale. Gœthe lui-même, qui s’intéressait si vivement au naturalisme philosophique français et « aux pensées des esprits parents de l’autre côté du Rhin », Gœthe n’a jamais cité Lamarck et ne semble pas avoir connu sa Philosophie zoologique. »

Chose singulière, Hæckel, qui rend un si juste témoignage en faveur de Lamarck, n’a aucune idée de la source à laquelle Lamarck avait puisé sa doctrine. Nulle part, dans son œuvre entière, il ne prononce le nom de Buffon. Le même silence a été gardé par tous les historiens de la doctrine de l’évolution. Cependant, nous avons vu plus haut que Lamarck lui-même rend hommage à Buffon, invoque son autorité contre celle de tous les autres naturalistes de son temps et se montre, jusque dans la forme qu’il donne à ses idées, l’héritier de son illustre maître[1]. Je ne crois pas que personne ait, avant moi, mis convenablement en lumière les admirables conceptions philosophiques de Buffon. Il semble que les naturalistes aient négligé de lire son œuvre, la considérant comme une pure dissertation littéraire, tandis que les littérateurs et les philosophes n’en pouvaient admirer que le style. Adanson et Lamarck se réclament, il est vrai, de son autorité, mais le livre d’Adanson n’a jamais été lu que par un petit nombre de botanistes, et Lamarck ne parle de Buffon que dans la préface de la Flore française, ouvrage également très peu répandu. Ajoutons à cela que le silence gardé par Cuvier relativement à la Zoologie philosophique de Lamarck, fut également, observé par lui à l’égard des idées scientifiques de Buffon. Dans la biographie qu’il écrivit pour l’encyclopédie de Michaud il vante tout en Buffon, sauf ce qui mérite le mieux d’être loué.

Quant à Flourens, l’élève et l’admirateur de Cuvier, auquel est due la dernière édition des œuvres de Buffon qui ait été faite, et les dernières études publiées sur l’illustre naturaliste, il semble s’être attaché à mettre l’éteignoir sur toutes les grandes idées que contient l’Histoire naturelle ; ou bien il ne les a pas comprises, ou bien il s’est attaché à les cacher, parfois même à les amoindrir au lieu de les mettre en relief. C’est ainsi que pour nos compatriotes, Buffon est resté un simple

  1. Voyez plus haut, p. 419 de cette Introduction.