Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/107

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hommes par un simple développement aidé d’une transformation semblable à celle que subissent les insectes avant d’arriver à leur état de perfection.

Comme ces deux systèmes des vers spermatiques et des œufs partagent aujourd’hui les physiciens, et que tous ceux qui ont écrit nouvellement sur la génération ont adopté l’une ou l’autre de ces opinions, il nous paraît nécessaire de les examiner avec soin, et de faire voir que non seulement elles sont insuffisantes pour expliquer les phénomènes de la génération, mais encore qu’elles sont appuyées sur des suppositions dénuées de toute vraisemblance.

Toutes les deux supposent le progrès à l’infini, qui, comme nous l’avons dit, est moins une supposition raisonnable qu’une illusion de l’esprit : un ver spermatique est plus de mille millions de fois plus petit qu’un homme ; si donc nous supposons que la grandeur de l’homme soit prise pour l’unité, la grandeur du ver spermatique ne pourra être exprimée que par la fraction 1/1000000000, c’est-à-dire par un nombre de dix chiffres ; et comme l’homme est au ver spermatique de la première génération en même raison que ce ver est au ver spermatique de la seconde génération, la grandeur ou plutôt la petitesse du ver spermatique de la seconde génération ne pourra être exprimée que par un nombre composé de dix-neuf chiffres, et par la même raison la petitesse du ver spermatique de la troisième génération ne pourra être exprimée que par un nombre de vingt-huit chiffres, celle du ver spermatique de la quatrième génération sera exprimée par un nombre de trente-sept chiffres, celle du ver spermatique de la cinquième génération par un nombre de quarante-six chiffres, et celle du ver spermatique de la sixième génération par un nombre de cinquante-cinq chiffres. Pour nous former une idée de la petitesse représentée par cette fraction, prenons les dimensions de la sphère de l’univers depuis le soleil jusqu’à Saturne, en supposant le soleil un million de fois plus gros que la terre et éloigné de Saturne de mille fois le diamètre solaire ; nous trouverons qu’il ne faut que quarante-cinq chiffres pour exprimer le nombre des lignes cubiques contenues dans cette sphère, et en réduisant chaque ligne cubique en mille millions d’atomes, il ne faut que cinquante-quatre chiffres pour en exprimer le nombre ; par conséquent l’homme serait plus grand, par rapport au ver spermatique de la sixième génération, que la sphère de l’univers ne l’est par rapport au plus petit atome de matière qu’il soit possible d’apercevoir au microscope. Que sera-ce si on pousse ce calcul seulement à la dixième génération ? La petitesse sera si grande que nous n’aurons aucun moyen de la faire sentir ; il me semble que la vraisemblance de cette opinion disparaît à mesure que l’objet s’évanouit. Ce calcul peut s’appliquer aux œufs comme aux vers spermatiques, et le défaut de vraisemblance est commun aux deux systèmes : on dira sans doute que, la matière étant divisible à l’infini, il n’y a point d’impossibilité dans cette dégradation de grandeur, et que, quoiqu’elle ne soit pas vraisemblable, parce qu’elle s’éloigne trop de ce que notre imagination nous repré-