Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/108

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sente ordinairement, on doit cependant regarder comme possible cette division de la matière à l’infini, puisque par la pensée on peut toujours diviser en plusieurs parties un atome, quelque petit que nous le supposions. Mais je réponds qu’on se fait sur cette divisibilité à l’infini la même illusion que sur toutes les autres espèces d’infinis géométriques ou arithmétiques : ces infinis ne sont tous que des abstractions de notre esprit et n’existent pas dans la nature des choses ; et si l’on veut regarder la divisibilité de la matière à l’infini comme un infini absolu, il est encore plus aisé de démontrer qu’elle ne peut exister dans ce sens ; car si une fois nous supposons le plus petit atome possible, par notre supposition même cet atome sera nécessairement indivisible, puisque s’il était divisible ce ne serait pas le plus petit atome possible, ce qui serait contraire à la supposition. Il me paraît donc que toute hypothèse où l’on admet un progrès à l’infini doit être rejetée non seulement comme fausse, mais encore comme dénuée de toute vraisemblance ; et, comme le système des œufs et celui des vers spermatiques supposent ce progrès, on ne doit pas les admettre.

Une autre grande difficulté qu’on peut faire contre ces deux systèmes, c’est que dans celui des œufs la première femme contenait des œufs mâles et des œufs femelles ; que les œufs mâles ne contenaient pas d’autres œufs mâles, ou plutôt ne contenaient qu’une génération de mâles, et qu’au contraire les œufs femelles contenaient des milliers de générations d’œufs mâles et d’œufs femelles, de sorte que dans le même temps et dans la même femme il y a toujours un certain nombre d’œufs capables de se développer à l’infini, et un autre nombre d’œufs qui ne peuvent se développer qu’une fois ; et de même, dans l’autre système, le premier homme contenait des vers spermatiques, les uns mâles et les autres femelles ; tous les vers femelles n’en contiennent pas d’autres, tous les vers mâles, au contraire, en contiennent d’autres, les uns mâles et les autres femelles, à l’infini, et dans le même homme et en même temps il faut qu’il y ait des vers qui doivent se développer à l’infini, et d’autres vers qui ne doivent se développer qu’une fois : je demande s’il y a aucune apparence de vraisemblance dans ces suppositions.

Une troisième difficulté contre ces deux systèmes, c’est la ressemblance des enfants, tantôt au père, tantôt à la mère, et quelquefois à tous les deux ensemble, et les marques évidentes des deux espèces dans les mulets et dans les animaux mi-partie. Si le ver spermatique de la semence du père doit être le fœtus, comment se peut-il que l’enfant ressemble à la mère ? et si le fœtus est préexistant dans l’œuf de la mère, comment se peut-il que l’enfant ressemble à son père ? et si le ver spermatique d’un cheval ou l’œuf d’une ânesse contient le fœtus, comment se peut-il que le mulet participe de la nature du cheval et de celle de l’ânesse ?

Ces difficultés générales, qui sont invincibles, ne sont pas les seules qu’on puisse faire contre ces systèmes, il y en a de particulières qui ne sont pas