Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/23

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mille mâles, et tout le reste ne sont que des mulets, ou plutôt des mouches neutres, sans sexe et incapables de produire.

Il faut avouer que dans les insectes, les poissons, les coquillages, il y a des espèces qui paraissent être extrêmement abondantes : les huîtres, les harengs, les puces, les hannetons, etc., sont peut-être en aussi grand nombre que les mousses et les autres plantes les plus communes : mais, à tout prendre, on remarquera aisément que la plus grande partie des espèces d’animaux est moins abondante en individus que les espèces de plantes ; et, de plus, on observera qu’en comparant la multiplication des espèces de plantes entre elles, il n’y a pas de différences aussi grandes dans le nombre des individus que dans les espèces d’animaux, dont les uns engendrent un nombre prodigieux de petits, et d’autres n’en produisent qu’un très petit nombre, au lieu que, dans les plantes, le nombre des productions est toujours fort grand dans toutes les espèces.

Il paraît, par ce que nous venons de dire, que les espèces les plus viles, les plus abjectes, les plus petites à nos yeux, sont les plus abondantes en individus, tant dans les animaux que dans les plantes ; à mesure que les espèces d’animaux nous paraissent plus parfaites, nous les voyons réduites à un moindre nombre d’individus. Pourrait-on croire que certaines formes de corps, comme celle des quadrupèdes et des oiseaux, de certains organes pour la perfection du sentiment, coûteraient plus à la nature que la production du vivant et de l’organisé qui nous paraît si difficile à concevoir ?

Passons maintenant à la comparaison des animaux et végétaux pour le lieu, la grandeur et la forme. La terre est le seul lieu où les végétaux puissent subsister[NdÉ 1] ; le plus grand nombre s’élève au-dessus de la surface du terrain, et y est attaché par des racines qui le pénètrent à une petite profondeur ; quelques-uns, comme les truffes, sont entièrement couverts de terre ; quelques autres, en petit nombre, croissent sur les eaux, mais tous ont besoin, pour exister, d’être placés à la surface de la terre : les animaux, au contraire, sont bien plus généralement répandus ; les uns habitent la surface, les autres l’intérieur de la terre ; ceux-ci vivent au fond des mers, ceux-là les parcourent à une hauteur médiocre ; il y en a dans l’air, dans l’intérieur des plantes, dans le corps de l’homme et des autres animaux, dans les liqueurs ; on en trouve jusque dans les pierres (les dails).

Par l’usage du microscope on prétend avoir découvert un très grand nombre de nouvelles espèces d’animaux fort différentes entre elles ; il peut paraître singulier qu’à peine on ait pu reconnaître une ou deux espèces de plantes nouvelles par le secours de cet instrument[NdÉ 2] ; la petite mousse produite par

  1. Beaucoup d’algues et de champignons vivent dans l’eau ou dans d’autres liquides.
  2. Depuis l’époque où Buffon écrivait cette phrase, le nombre des végétaux microscopiques découverts est extrêmement considérable ; il me suffira de citer les Diatomées, les Desmidiées, les Bactériens, etc.