Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/304

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On me dira peut-être qu’ici l’effet n’est point proportionnel à la cause ; que dans les corps solides qui suivent les lois de la mécanique la réaction est toujours égale à l’action ; mais que dans le corps animal il paraît que le mouvement extérieur ou la réaction est incomparablement plus grande que l’action, et que par conséquent le mouvement progressif et les autres mouvements extérieurs ne doivent pas être regardés comme de simples effets de l’impression des objets sur les sens. Mais il est aisé de répondre que, si les effets nous paraissent proportionnels à leurs causes dans certains cas et dans certaines circonstances, il y a dans la nature un bien plus grand nombre de cas et de circonstances où les effets ne sont en aucune façon proportionnels à leurs causes apparentes. Avec une étincelle, on enflamme un magasin à poudre et l’on fait sauter une citadelle ; avec un léger frottement on produit par l’électricité un coup violent, une secousse vive, qui se fait sentir dans l’instant même à de très grandes distances, et qu’on n’affaiblit point en la partageant, en sorte que mille personnes qui se touchent ou se tiennent par la main en sont également affectées, et presque aussi violemment que si le coup n’avait porté que sur une seule ; par conséquent il ne doit pas paraître extraordinaire qu’une légère impression sur les sens puisse produire dans le corps animal une violente réaction, qui se manifeste par les mouvements extérieurs[NdÉ 1].

Les causes que nous pouvons mesurer, et dont nous pouvons en conséquence estimer au juste la quantité des effets, ne sont pas en aussi grand nombre que celles dont les qualités nous échappent, dont la manière d’agir nous est inconnue, et dont nous ignorons par conséquent la relation proportionnelle qu’elles peuvent avoir avec leurs effets. Il faut, pour que nous puissions mesurer une cause, qu’elle soit simple, qu’elle soit toujours la même, que son action soit constante, ou, ce qui revient au même, qu’elle ne soit variable que suivant une loi qui nous soit exactement connue. Or, dans la nature, la plupart des effets dépendent de plusieurs causes différemment combinées, de causes dont l’action varie, de causes dont les degrés d’activité ne semblent suivre aucune règle, aucune loi constante, et que nous ne pouvons par conséquent ni mesurer, ni même estimer que comme on estime des probabilités, en tâchant d’approcher de la vérité par le moyen des vraisemblances.

Je ne prétends donc pas assurer comme une vérité démontrée, que le mouvement progressif et les autres mouvements extérieurs de l’animal aient pour cause, et pour cause unique, l’impression des objets sur les sens : je le dis seulement comme une chose vraisemblable et qui me paraît fondée

  1. Il faut, en effet, dans l’étude des actions et des réactions mécaniques, tenir compte non seulement de l’intensité de l’action, mais encore de la nature du corps sur lequel l’action s’exerce, l’intensité de la réaction variant avec la constitution et l’organisation du corps qui la produit.