Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/341

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tournent pas contre l’objet de leur amour, ils ne sont jaloux que de leurs plaisirs[NdÉ 1].

Mais les animaux sont-ils bornés aux seules passions que nous venons de décrire ? la peur, la colère, l’horreur, l’amour et la jalousie sont-elles les seules affections durables qu’ils puissent éprouver ? Il me semble qu’indépendamment de ces passions, dont le sentiment naturel, ou plutôt l’expérience du sentiment rend les animaux susceptibles, ils ont encore des passions qui leur sont communiquées et qui viennent de l’éducation, de l’exemple, de l’imitation et de l’habitude : ils ont leur espèce d’amitié, leur espèce d’orgueil, leur espèce d’ambition ; et quoiqu’on puisse déjà s’être assuré, par ce que nous avons dit, que dans toutes leurs opérations et dans tous les actes qui émanent de leurs passions il n’entre ni réflexion, ni pensée, ni même aucune idée, cependant comme les habitudes dont nous parlons sont celles qui semblent le plus supposer quelque degré d’intelligence, et que c’est ici où la nuance entre eux et nous est la plus délicate et la plus difficile à saisir, ce doit être aussi celle que nous devons examiner avec le plus de soin[NdÉ 2].

Y a-t-il rien de comparable à l’attachement du chien pour la personne de son maître ? On en a vu mourir sur le tombeau qui la renfermait ; mais (sans vouloir citer les prodiges ni les héros d’aucun genre) quelle fidélité à accompagner, quelle constance à suivre, quelle attention à défendre son maître ! quel empressement à rechercher ses caresses ! quelle docilité à lui obéir ! quelle patience à souffrir sa mauvaise humeur et des châtiments souvent injustes ! Quelle douceur et quelle humilité pour tâcher de rentrer en grâce ! que de mouvements, que d’inquiétudes, que de chagrin, s’il est absent ! que de joie lorsqu’il se retrouve ! À tous ces traits peut-on méconnaître l’amitié ? se marque-t-elle même parmi nous par des caractères aussi énergiques ?

Il en est de cette amitié comme de celle d’une femme pour son serin, d’un enfant pour son jouet, etc. : toutes deux sont aussi peu réfléchies, toutes deux ne sont qu’un sentiment aveugle[NdÉ 3] ; celui de l’animal est seulement plus naturel, puisqu’il est fondé sur le besoin, tandis que l’autre n’a

  1. Il y a là une erreur ; certains animaux montrent, comme l’homme, de la jalousie alors même qu’ils ne sont plus en état de jouir. Ils se montrent jaloux, comme l’homme, non seulement de la femelle qu’ils ont conquise, mais encore de tous les êtres qui leur témoignent de l’affection ; les chiens et les chats montrent souvent une très grande jalousie quand leurs maîtres caressent d’autres animaux ou même des enfants.
  2. Il est très exact que les animaux ont comme nous de véritables passions, de même qu’ils ont des idées. Buffon le reconnaît ; il semble, à maintes reprises, indiquer qu’il ne voit à cet égard, comme aux autres, entre les animaux et l’homme, que des différences de degrés ; pourquoi donc insiste-t-il tant sur la distinction qu’il prétend établir, au point de vue de « l’âme », entre les animaux et l’homme ?
  3. L’amitié du chien pour son maître n’est pas le moins du monde aveugle ; elle résulte des soins qui sont donnés à l’animal, des caresses qui lui sont faites, etc. Quoi qu’en dise plus bas Buffon, l’amitié des hommes n’a pas d’autre raison d’être.