Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/38

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elles ne sont pas extérieures et que, par conséquent, elles ne peuvent pas tomber sous nos sens ; mais nous pouvons en comparer les effets, et il nous est permis d’en tirer des analogies pour rendre raison des effets de qualités du même genre.

Si nos yeux, au lieu de ne nous représenter que la surface des choses, étaient conformés de façon à nous représenter l’intérieur des corps, nous aurions alors une idée nette de cet intérieur, sans qu’il nous fût possible d’avoir par ce même sens aucune idée des surfaces. Dans cette supposition, les moules pour l’intérieur, que j’ai dit qu’emploie la nature, nous seraient aussi faciles à voir et à concevoir que nous le sont les moules pour l’extérieur, et même les qualités qui pénètrent l’intérieur des corps seraient les seules dont nous aurions des idées claires ; celles qui ne s’exerceraient que sur les surfaces nous seraient inconnues, et nous aurions dans ce cas des voies de représentation pour imiter l’intérieur des corps, comme nous en avons pour imiter l’extérieur : ces moules intérieurs, que nous n’aurons jamais, la nature peut les avoir, comme elle a les qualités de la pesanteur, qui en effet pénètrent à l’intérieur ; la supposition de ces moules est donc fondée sur de bonnes analogies ; il reste à examiner si elle ne renferme aucune contradiction.

On peut nous dire que cette expression, moule intérieur, paraît d’abord renfermer deux idées contradictoires, que celle du moule ne peut se rapporter qu’à la surface, et que celle de l’intérieur doit ici avoir rapport à la masse ; c’est comme si l’on voulait joindre ensemble l’idée de la surface et l’idée de la masse, et on dirait tout aussi bien une surface massive qu’un moule intérieur.

J’avoue que, quand il faut représenter des idées qui n’ont pas encore été exprimées, on est obligé de se servir quelquefois de termes qui paraissent contradictoires, et c’est par cette raison que les philosophes ont souvent employé dans ces cas des termes étrangers, afin d’éloigner de l’esprit l’idée de contradiction qui peut se présenter, en se servant de termes usités et qui ont une signification reçue ; mais nous croyons que cet artifice est inutile, dès qu’on peut faire voir que l’opposition n’est que dans les mots, et qu’il n’y a rien de contradictoire dans l’idée : or je dis que, toutes les fois qu’il y a unité dans l’idée, il ne peut y avoir contradiction ; c’est-à-dire, toutes les fois que nous pouvons nous former une idée d’une chose, si cette idée est simple, elle ne peut être composée, elle ne peut renfermer aucune autre idée et, par conséquent, elle ne contiendra rien d’opposé, rien de contraire.

Les idées simples sont non seulement les premières appréhensions qui nous viennent par les sens, mais encore les premières comparaisons que nous faisons de ces appréhensions ; car, si l’on y fait réflexion, l’on sentira bien que la première appréhension elle-même est toujours une comparaison : par exemple, l’idée de la grandeur d’un objet ou de son éloignement ren-