Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/476

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en comparaison des animaux des pays chauds de l’ancien continent. Il n’y a, en effet, nulle comparaison, pour la grandeur, de l’éléphant, du rhinocéros, de l’hippopotame, de la girafe, du chameau, du lion, du tigre, etc., tous animaux naturels et propres à l’ancien continent, et du tapir, du cabiai, du fourmilier, du lama, du puma, du jaguar, etc., qui sont les plus grands animaux du nouveau monde ; les premiers sont quatre, six, huit et dix fois plus gros que les derniers. Une autre observation qui vient encore à l’appui de ce fait général, c’est que tous les animaux qui ont été transportés d’Europe en Amérique, comme les chevaux, les ânes, les bœufs, les brebis, les chèvres, les cochons, les chiens, etc., tous ces animaux, dis-je, y sont devenus plus petits ; et que ceux qui n’y ont pas été transportés et qui y sont allés d’eux-mêmes, ceux, en un mot, qui sont communs aux deux mondes, tels que les loups, les renards, les cerfs, les chevreuils, les élans, sont aussi considérablement plus petits en Amérique qu’en Europe, et cela sans aucune exception.

Il y a donc dans la combinaison des éléments et des autres causes physiques quelque chose de contraire à l’agrandissement de la nature vivante dans ce nouveau monde[NdÉ 1] ; il y a des obstacles au développement et peut-être à la formation des grands germes ; ceux même qui, par les douces influences d’un autre climat, ont reçu leur forme plénière et leur extension tout entière, se resserrent, se rapetissent, sous ce ciel avare et dans cette terre vide, où l’homme en petit nombre était épars, errant ; où, loin d’user en maître de ce territoire comme de son domaine, il n’avait nul empire ; où ne s’étant jamais soumis ni les animaux ni les éléments, n’ayant ni dompté les mers, ni dirigé les fleuves, ni travaillé la terre, il n’était en lui-même qu’un animal du premier rang, et n’existait pour la nature que comme un être sans conséquence, une espèce d’automate impuissant, incapable de la réformer ou de la seconder ; elle l’avait traité moins en mère qu’en marâtre en lui refusant le sentiment d’amour et le désir vif de se multiplier. Car, quoique le sauvage du nouveau monde soit à peu près de même nature que l’homme de notre monde, cela ne suffit pas pour qu’il puisse faire une exception au fait général du rapetissement de la nature vivante dans tout ce continent : le sauvage est faible et petit par les organes de la génération ; il n’a ni poil ni barbe, et nulle ardeur pour sa femelle ; quoique plus léger que l’Européen parce qu’il a plus d’habitude à courir, il est cependant beaucoup moins fort de corps ; il est aussi bien moins sensible, et cependant plus craintif et plus lâche ; il n’a nulle vivacité, nulle activité dans l’âme ; celle du corps est moins un exercice, un mouvement volontaire, qu’une nécessité d’action causée par le besoin ; ôtez-lui la faim et la soif, vous détruirez en même temps le principe actif de tous ses mouvements ; il demeurera stupi-

  1. ette proposition ne pourrait être appliquée qu’aux animaux actuels, car on a trouvé en Amérique de grands mammifères fossiles.