Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/477

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dement en repos sur ses jambes ou couché pendant des jours entiers. Il ne faut pas aller chercher plus loin la cause de la vie dispersée des sauvages et de leur éloignement pour la société : la plus précieuse étincelle du feu de la nature leur a été refusée ; ils manquent d’ardeur pour leur femelle, et par conséquent d’amour pour leurs semblables ; ne connaissant pas l’attachement le plus vif, le plus tendre de tous, leurs autres sentiments de ce genre sont froids et languissants ; ils aiment faiblement leurs pères et leurs enfants ; la société la plus intime de toutes, celle de la même famille, n’a donc chez eux que de faibles liens ; la société d’une famille à l’autre n’en a point du tout : dès lors nulle réunion, nulle république, nul état social. Le physique de l’amour fait chez eux le moral des mœurs ; leur cœur est glacé, leur société froide et leur empire dur. Ils ne regardent leurs femmes que comme des servantes de peine ou des bêtes de somme qu’ils chargent, sans ménagement, du fardeau de leur chasse, et qu’ils forcent sans pitié, sans reconnaissance, à des ouvrages qui souvent sont au-dessus de leurs forces : ils n’ont que peu d’enfants ; ils en ont peu de soin ; tout se ressent de leur premier défaut ; ils sont indifférents parce qu’ils sont peu puissants, et cette indifférence pour le sexe est la tache originelle qui flétrit la nature, qui l’empêche de s’épanouir et qui, détruisant les germes de la vie, coupe en même temps la racine de la société.

L’homme ne fait donc point d’exception ici. La nature, en lui refusant les puissances de l’amour, l’a plus maltraité et plus rapetissé qu’aucun des animaux ; mais, avant d’exposer les causes de cet effet général, nous ne devons pas dissimuler que si la nature a rapetissé dans le nouveau monde tous les animaux quadrupèdes, elle paraît avoir maintenu les reptiles et agrandi les insectes : car, quoique au Sénégal il y ait encore de plus gros lézards et de plus longs serpents que dans l’Amérique méridionale, il n’y a pas, à beaucoup près, la même différence entre ces animaux qu’entre les quadrupèdes ; le plus gros serpent du Sénégal n’est pas double de la grande couleuvre de Cayenne, au lieu qu’un éléphant est peut-être dix fois plus gros que le tapir qui, comme nous l’avons dit, est le plus grand quadrupède de l’Amérique méridionale ; mais, à l’égard des insectes, on peut dire qu’ils ne sont nulle part aussi grands que dans le nouveau monde : les plus grosses araignées, les plus grands scarabées, les chenilles les plus longues, les papillons les plus étendus, se trouvent au Brésil, à Cayenne et dans les autres provinces de l’Amérique méridionale ; ils l’emportent sur presque tous les insectes de l’ancien monde, non seulement par la grandeur du corps et des ailes, mais aussi par la vivacité des couleurs, le mélange des nuances, la variété des formes, le nombre des espèces et la multiplication prodigieuse des individus dans chacune. Les crapauds, les grenouilles et les autres bêtes de ce genre sont aussi très grosses en Amérique. Nous ne dirons rien des oiseaux ni des poissons, parce que, pouvant passer d’un monde à l’autre, il serait presque