Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome IV, Partie 2.djvu/64

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y a de la lumière parce que nous avons des yeux, qu’il y a des sons parce que nous avons des oreilles, ou dire que nous avons des oreilles et des yeux parce qu’il y a de la lumière et des sons, n’est-ce pas dire même chose, ou plutôt que dit-on ? Trouvera-t-on jamais rien par cette voie d’explication ? ne voit-on pas que ces causes finales ne sont que des rapports arbitraires et des abstractions morales, lesquelles devraient encore imposer moins que les abstractions métaphysiques ? Car leur origine est moins noble et plus mal imaginée ; et, quoique Leibniz les ait élevées au plus haut point sous le nom de raison suffisante, et que Platon les ait représentées par le portrait le plus flatteur sous le nom de la perfection, cela ne peut pas leur faire perdre à nos yeux ce qu’elles ont de petit et de précaire : en connaît-on mieux la nature et ses effets quand on sait que rien ne se fait sans une raison suffisante, ou que tout se fait en vue de la perfection ? Qu’est-ce que la raison suffisante ? Qu’est-ce que la perfection ? Ne sont-ce pas des êtres moraux créés par des vues purement humaines ? Ne sont-ce pas des rapports arbitraires que nous avons généralisés ? Sur quoi sont-ils fondés ? Sur des convenances morales, lesquelles, bien loin de pouvoir rien produire de physique et de réel, ne peuvent qu’altérer la réalité et confondre les objets de nos sensations, de nos perceptions et de nos connaissances avec ceux de nos sentiments, de nos passions et de nos volontés.

Il y aurait beaucoup de choses à dire sur ce sujet, aussi bien que sur celui des abstractions métaphysiques ; mais je ne prétends pas faire ici un traité de philosophie, et je reviens à la physique que les idées de Platon sur la génération universelle m’avaient fait oublier. Aristote, aussi grand philosophe que Platon, et bien meilleur physicien, au lieu de se perdre comme lui dans la région des hypothèses, s’appuie au contraire sur des observations, rassemble des faits et parle une langue plus intelligible : la matière, qui n’est qu’une capacité de recevoir les formes, prend dans la génération une forme semblable à celle des individus qui la fournissent ; et à l’égard de la génération particulière des animaux qui ont des sexes, son sentiment est que le mâle fournit seul le principe prolifique, et que la femelle ne donne rien qu’on puisse regarder comme tel. (Voyez Arist. De gen., lib. I, cap. xx, et lib. II, cap. iv.) Car, quoiqu’il dise ailleurs, en parlant des animaux en général, que la femelle répand une liqueur séminale au dedans de soi-même, il paraît qu’il ne regarde pas cette liqueur séminale comme un principe prolifique, et cependant, selon lui, la femelle fournit toute la matière nécessaire à la génération ; cette matière est le sang menstruel qui sert à la formation, au développement et à la nourriture du fœtus, mais le principe efficient existe seulement dans la liqueur séminale du mâle, laquelle n’agit pas comme matière, mais comme cause. Averroès, Avicenne et plusieurs autres philosophes qui ont suivi le sentiment d’Aristote, ont cherché des raisons pour prouver que les femelles n’avaient point de liqueur prolifique ;