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Page:Buies - Anglicismes et canadianismes, 1888.djvu/102

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aperçu, faillit me faire perdre le fruit de mon travail et des sentiments nouveaux que j’avais éveillés dans mon auditoire. Ô mes amis ! comment rouvrir cette vilaine blessure ? Comment rappeler ce souvenir détesté ? J’avais lu Garneau au Canada, mais je ne l’avais pas relu avant de le citer devant mes camarades du lycée St-Louis. Tout à coup, comme je tournais une page, Passation se dressa devant moi ; j’étais lancé à fond de train, je ne pus l’éviter et j’envoyai ce mot effrayant en pleine rhétorique-lettres.[1]

Ce fut un holà général. Mon professeur, qui était un docteur-ès-lettres en la Sorbonne et, de plus, un agrégé de la Faculté des Sciences Historiques, eut un haut-le-corps des plus escarpés, et mes camarades se précipitèrent de leurs sièges et roulèrent jusqu’à moi. En un instant je fus entouré, pressé, serré. Chacun voulait voir Passation, contempler Passation : « Où est Passation ? Montre-nous Passation. Qu’est-ce que c’est que ça, Passation ? » Les plus réservés disaient : Passation !…… pas vu, connais pas. « L’as-tu vu, toi ? »…… Enfin, je cédai sous l’orage, et j’exhibai Passation, un de ces mots étranges qui sont le résultat de notre longue séparation de la France,

  1. Dans les lycées de France, les études, malheureusement, se bifurquent en deux sections, à partir de la troisième classe ; section des lettres et section des sciences.