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mis à cette torture. Il est rare qu’un français se trouve dans cet embarras, j’allais dire dans ce « trouble, » pour parler anglais. Pourquoi encore reconnaîtra-t-on presque invariablement, à très peu d’exceptions près, un écrivain canadien d’un écrivain français ? À une foule de choses sans doute en dehors de la langue proprement dite, parce que nous avons des idées, des habitudes, des coutumes, une éducation différentes de celles de la France ; mais ce sera surtout, en ce qui concerne la manière de s’exprimer, parce que nous n’avons pas eu de maîtres qui, eux-mêmes, possédassent suffisamment le génie de la langue française et qui aient pu nous l’inculquer, nous en inspirer. Un écrivain canadien se trahira toujours par le manque de certitude dans l’expression, par le défaut d’audace dans l’emploi indéfiniment varié des termes, par l’habitude plus ou moins grande des nuances, par cette espèce de timidité et de gaucherie propre à ceux qui ne sont pas sûrs de l’instrument qu’ils manient, par l’étendue très limitée du vocabulaire à sa disposition, enfin, pour dire le mot, le seul mot, par l’absence plus ou moins caractérisée de ce qui constitue le génie de la langue, ce génie que les écrivains français possèdent tous, quels qu’ils soient, supérieurs, médiocres ou inférieurs. Ceux-ci, on les reconnaît de suite à ce signe, malgré les défauts, malgré les faiblesses, malgré les négligences, les imperfections ou les désordres de leur style, enfin jusque dans