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CHRONIQUES

une lieue de circonférence et reçoit les eaux d’une rivière qui s’y précipite des hauteurs voisines par plusieurs chutes qui se sont creusé des lits où elles ont pu, ou plutôt comme elles ont voulu, en choisissant pour cela les passages les plus fantastiques.

Pour s’y rendre, il faut descendre et monter des côtes alpestres. Impossible de se tenir en voiture ; hommes, femmes, enfants, tous descendent ; on marche dans le sable jusqu’aux genoux, on est couvert de sueurs et de poussière, éreinté, abîmé, disloqué. C’est le chemin le plus difficile après celui du ciel, et cependant, allez-y n’importe quel jour de la belle saison, vous y verrez toujours des suites interminables de voitures, remplies de femmes qui veulent se donner la nouveauté d’un peu de misère, peut-être afin d’enlever aux hommes l’idée qu’ils l’ont toute en partage dans cette vallée de larmes.

Si la Malbaie est adorable, elle a en revanche, je le répète, le malheur d’être située sur la côte nord du Saint-Laurent. Être sur cette côte veut dire qu’on est en dehors du monde. S’il y avait pour l’homme quelque chose d’impossible, je dirais que ce qui est impossible ici, ce sont les communications. En effet, la malle de terre ne part de la Malbaie et n’y arrive que trois fois par semaine. Que voulez-vous ? c’est un travail herculéen que de gravir et de descendre pendant deux jours des côtes qui ne finissent qu’au troisième ciel. D’autre part, la malle par eau ne vient que quatre fois par semaine ; de sorte que nous sommes