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CHRONIQUES

réduits à attendre tous les deux jours pour expédier aux citadins essoufflés quelques uns des souffles rafraîchissants qui gonflent nos poitrines rustiques.

Il y a à la Pointe-aux-Pics quatre hôtels groupés ensemble, pouvant loger en moyenne trois cents personnes. Ces hôtels sont fréquentés surtout par des Anglais qui y gardent leur extérieur morne, taciturne, cassant et lugubre. Les Anglais ne sont et ne seront toujours que des entrepreneurs de pompes funèbres ; leur plaisir unique, c’est le jeu de croquet, et ils poussent leurs boules méthodiquement comme leur personne. Quand ils essaient d’être gais ils font un tapage infernal ; faire beaucoup de bruit, c’est très jolly, très funny. Pas de musique, pas de danse, mais beaucoup de promenades et beaucoup de parties de pêche. Allez sur la grève, par un soleil ardent, vous êtes sûr d’y trouver des Anglaises un livre à la main, lisant au milieu des coquilles, les pieds baignés par le varech. C’est de bon ton ; une Anglaise qui remue manque aux lois les plus élémentaires de l’étiquette.

À l’hôtel Duberger, on a le jeu de quilles, le billard, de l’entrain, du laisser-aller, de la vraie vie de campagne, et surtout on a madame Duberger mère, une femme héroïque de soixante-dix ans, qui est un prodige parmi tant de prodiges de l’endroit. Toujours sur pied, alerte, vive, elle ne se donne pas un instant de repos. Ses pensionnaires sont ses enfante. Il faut la voir à table, appelant de tous côtés ses servantes, les dirigeant, les stimulant, leur imprimant son infatigable activité. Sa voix domine toutes les voix, et c’est un plaisir autant qu’un spectacle de voir cette incomparable matrone allant à droite, à gauche, prévenant