Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/371

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est malheureux que je manque de l’esprit d’entreprise nécessaire.

Avant de quitter ce sujet appétissant qui est pour moi, vieux garçon, intarissable, (car j’en sais long là-dessus, moi qui ai été traité comme le docteur Mathieu au moins trente-trois fois,) je veux donner un conseil. Le suivra qui pourra. N’allez jamais devant les tribunaux contre une femme ; c’est parfaitement juste, logique, sensé, mais c’est détestable.

Malheureusement ce n’est pas la raison qui gouverne le monde, c’est le préjugé. Or, le préjugé sera toujours plus fort que la loi. Votre exemple ne sera jamais beaucoup suivi, quelque louable qu’il soit dans un cas particulier. Il ne servira tout au plus qu’à donner des espérances aux pleutres et à tous ces petits cuistres vils qui se faufilent dans les familles en calculant d’avance le prix de leur évincement. Ne poursuivez pas la femme, parce qu’il n’y a pas de tribunal qui puisse l’atteindre ; elle est au-dessus comme en dehors de la loi ; ce qu’elle vous paierait en dommages, vous le perdriez dix fois en considération ; et puissiez-vous monter à ce prix trois maisons, vous ne monteriez plus un seul ménage. Mais, servez-vous de ses armes, rendez-lui ce qu’elle vous fait, jouez son jeu. Quand elle vous verra aussi fort qu’elle, soyez assuré de sa loyauté et de sa constance. Rien ne plie, rien ne cède comme la femme, mais à la condition qu’on la batte sur son terrain. Essayez cela et vous réussirez, dût-il vous en coûter d’abord vingt défaites. Ce noviciat fini, vous serez le maître et toutes les femmes seront folles de vous ; mais, hélas ! vous ne serez plus fou d’elles…