Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/395

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les jeunes s’en vont presque tous. L’émigration aux États-Unis est un fléau qui ne diminue pas, qui est devenu endémique ; on prend bien des précautions contre le choléra, contre la petite vérole et autres désagréments, mais on n’en prend aucune contre cette terrible épidémie qui décime nos campagnes et dépeuple chaque foyer. Les laboureurs surtout, ces fournisseurs du pain quotidien, partent en foule, s’enfuient, comme s’ils désertaient à l’envi une terre maudite. Ô Canada ! c’est pourtant bien un grand homme, un sir de bronze qui t’a appelé nos amours ! Sol ingrat, il te faut du fumier maintenant bien plus que des sueurs, et tu ne tiens nul compte de l’effort de nos bras ; aussi on te quitte.

C’est bien simple. Les trois quarts des terres sont hypothéquées ; la plupart des jeunes gens sont partis et les hommes de journée se font payer cinq dollars par semaine outre la nourriture, ce qui équivaut à hypothéquer le dernier quart des dernières terres qu’on cultive encore.

Je vous le dis en vérité : tant qu’on n’en finira pas avec la routine en toutes choses et partout sur la terre de nos aïeux, il en sera toujours ainsi. La routine dans un jeune pays, c’est non seulement stupide, c’est encore contre nature et c’est criminel ; par elle on étouffe dans le germe tous les œufs qui veulent éclore, on se condamne à la stérilité au milieu d’innombrables richesses, on foule éternellement dans les mêmes sentiers un sol gorgé de trésors sans vouloir l’ouvrir, et on le fuit avant même d’avoir joui d’une part infime de ses dons. Il y a de tout ici. Les rivières foisonnent de l’infinie variété des poissons, les montagnes et les