Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/399

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tumées, presque épeurantes. Les rochers aux noirs profils ont l’air de se précipiter sur vous ; les arbres, tout le jour silencieux, si ce n’est dans les caresses de la brise et les gazouillements des oiseaux, s’emplissent de bruits étranges ; on les dirait chargés de souffles mystérieux et d’esprits qui se jouent de nos terreurs. La lune, qui était venue avant son heure, se cache, se blottit derrière les nuages comme si elle soupçonnait quelque trahison du ciel ; les maringouins bourdonnent, horrible espèce qui commence son vacarme à l’heure ou tout se taît ; les moutons et les bestiaux pioncent sans souci du lendemain, et dans l’air courent de grands fils à peine visibles qui sont comme les franges aériennes de quelque voile de séraphin.

Où suis-je ? Je le sais à peine. Pourquoi suis-je venu ici et par quel vent poussé ? Je n’en sais rien. Tout ce que je puis dire, c’est le chemin que j’ai fait et la manière dont je l’ai fait.

Lecteur, le Canada est un pays appelé à de grandes destinées nautiques ; c’est dans l’empire des loups-marins et des morues que nous faisons les plus rapides progrès. Dans presque tout ce que nous tentons sur terre, nous échouons ; mais dès que nous abordons le domaine des tritons, c’est presque immanquable, nous y trouvons le succès ou du moins l’aisance. Il n’y a pas de compagnie maritime sérieuse qui n’arrive à la fortune ; mais lorsque le succès est dû à un esprit d’entreprise qui ne recule devant rien, à une intelligence large des besoins de notre époque, comme en