Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/439

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vie d’ambition et de travail, ou de leur infécondité devenue de plus en plus sensible.

Autour du lac Saint-Jean il y a plusieurs postes ; je n’en ai vu qu’un, mais cela suffit, les autres n’étant qu’une répétition de celui-là. Ah ! je n’oublierai jamais le long soupir de soulagement que je poussai en revoyant devant moi une large nappe d’eau et un espace libre, après avoir été quatre jours enfermé dans les ravins et les coteaux. L’air m’arriva comme à l’improviste des fraîches profondeurs du lac et des vents qui courent sur son manteau flottant ; je le respirai en ouvrant ma poitrine gonflée de bonheur et de vie ; mille bouffées rafraîchissantes s’y précipitèrent comme pour lui rendre sa puissance et sa force ; je m’élançai hors de la voiture et me mis à courir aux côtés du cheval jusqu’à ce que nous fussions arrivés au poste où rien n’avait pu faire présager le chroniqueur, et où je me croyais certes bien aussi inconnu qu’au fond de la Laponie. Mais, hélas ! j’ai déjà jeté à tous les vents de mon pays tant de chroniques, envolées à peine enfantées, que leur fantôme me poursuit partout ! Oui, hélas ! j’étais connu au lac Saint-Jean, et à peine annoncé que je me voyais, de la part de monsieur et de madame Ross, l’objet d’une réception aussi flatteuse qu’inattendue.

Saluons de suite la fleur de ces lieux, inclinons-nous devant la douce et fraîche beauté qui orne la rive du lac, comme un lys étend sa blanche corolle sur une couche de feuillages détachés de leur tige. Je veux