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VOYAGES

« Je me moque bien de perdre, s’écriait-il ; prenez, ramassez mon argent, je vous le donne…… Quand je bois, je bois pour six mois, vive Jupiter ! Je viens de faire cent lieues. Give me a glass of gin… » Et il allongeait ses longues jambes, se renversait en arrière, bavant, frappant le plancher de ses talons boueux. Mon compagnon, comme fatigué de ses instances, me dit à l’oreille : « Voici un gaillard qui va se faire dévaliser ici, c’est sûr. J’aime autant le soulager de quelques centaines de dollars en un tour de main, vous allez voir cela. » Et, sans prendre la peine de regarder l’effet de ses paroles sur ma physionomie, il prit les cartes. En moins d’une minute il avait gagné plus de trois cents dollars. Chaque carte tirée sur trois lui donnait raison. Je restais, malgré moi, cloué sur place, comme ahuri. À qui donc avais-je affaire ? Ce malheureux diable d’ivrogne allait perdre jusqu’à son dernier sou, si le train restait seulement cinq minutes de plus !

En ce moment, deux ou trois autres individus débouchèrent d’une pièce voisine. « Jouez-vous ? me dirent-ils. Venez, venez donc, vous allez gagner toutes vos dépenses de voyage. » Et ils m’entouraient, me pressaient, me sollicitaient de mettre qui dix dollars, qui vingt, qui trente…… etc…… j’étais abasourdi et je cherchais à me dégager. Mais le cercle se resserrait autour de moi. « By God, you must play, » dit l’un des hommes en me tirant violemment par le bras. Le prétendu ivrogne venait de se raffermir sur ses jambes et me lançait un regard clair, net et menaçant. « Je suis dans