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LE DERNIER MOT



31 Décembre 1874.


Lorsque je fis mes adieux à l’année « 73 », je ne savais pas que cet adieu dût commencer un volume et bien des mois encore après, j’étais loin d’y penser. C’était par une nuit douce, étoilée, mélancolique. J’étais rentré bien tard dans ma chambre solitaire, après avoir essayé en vain de secouer un pressentiment sinistre qui m’étreignait comme l’angoisse serre le cœur au sentiment d’un danger invisible, mais qui plane sur soi, qui enveloppe et menace de toutes parts. Je ne savais si c’était la mort ou quelque chose de pis qui s’avançait avec cette nouvelle année dont je franchissais tant à regret le seuil ; au prix de toutes les joies à venir j’aurais voulu arrêter le temps ; j’attendais avec épouvante la première heure de « 74 » comme on regarde venir, dans un navire sans défense, un orage plein de ténèbres.

Et maintenant, voilà que cette année tant redoutée a déjà disparu ! Que reste-t-il de ce souffle qui a passé dans l’infini de la durée ? Pas la plus petite trace, pas même un souvenir, puisque les hommes sont tout entiers à l’année nouvelle. On croit vivre, on compte pour quelque chose cette miette du temps qui est donnée à notre globe, l’un